Lente chute de la pluie sur la mousse | |
Topic visité 199 fois Dernière réponse le 27/08/2006 à 13:55 |
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Une aube moite pointait des dards pourpres à travers les frondaisons. Gorgées de pluie, gorgées de sève, les feuilles sombres ployaient, dégouttaient une eau dorée sur le sol moussu ou bien frémissaient, lascives, sous le vent du petit matin. La forêt toute entière s’ébrouait sous la caresse de la pluie : bruits de bois gonflé, craquements de branches, appels, cris et pas discrets de la faune sur l’humus.
Tête renversée vers le ciel, bras levés, Nuit dansait. Nuit faisait toujours ainsi. Toute manifestation naturelle – du lever du soleil à la lente pousse des arbres – était propice à célébration, en l’honneur de la Mère. Nuit dansait avec souplesse et abandon, comme dansent les enfants ou bien les fous, pieds nus dans la mousse. Et la pluie glissait sur le corps sombre aux membres fins et déliés, inventait des perles dans les longs cheveux de satin noir. Nuit, en effet, portait bien son nom, sombre de peau et de cheveux comme la nuit elle-même – exception faite de ses yeux, verts comme l’eau verte des mangroves. Mais Nuit ne donnait pas souvent son nom à autrui, parce que Nuit ne parlait pas. Ou rarement. L’éducation qu’avait reçu le jeune Homme Sauvage était constituée majoritairement de chant et de danse, d’appels animaux, de rires silencieux. Quand Nuit s’exprimait, il le faisait avec son corps, ses attitudes ou ses expressions ; parfois, lorsque c’était nécessaire, en traçant un dessin sur le sol ; et enfin, lorsque tout le reste avait échoué, à l’aide des mots, en tout dernier recours. C’était une enfance étrange qu’avait passé Nuit en bordure de Luminae, élevé par des parents plus proches de l’état animal que de la conscience humaine. La philosophie de ses géniteurs était telle qu’ils avaient rejeté toute activité civilisée pour embrasser totalement la Malédiction. Abandonnant l’organisation du Peuple Luminéen afin de vivre en étroite symbiose avec la pulsation primitive, sauvage, de la Mère. Peut-être que s’ils se tournaient entièrement vers leur côté animal, alors Gaïa finirait par les reconnaître ; peut-être que la Malédiction, en les fondant avec la faune, leur offrait une voie de salut, et pourquoi pas ? Elevé comme un animal, Nuit avait développé une sensibilité exacerbée, spontanée et innocemment sensuelle, ainsi qu’une naïveté limpide et une curiosité sans bornes. Certes, il était méfiant et discret, comme la plupart des Hommes Sauvages, en vérité ; cependant, tout en répugnant à s’approcher de l’inconnu, il nourrissait à cet égard une avidité qui finissait toujours par l’enhardir. C’était avec ce mélange de crainte et d’envie que Nuit contemplait à présent la frontière indéfinissable qui séparait la forêt et les plaines. De toute son existence, le jeune Homme Sauvage n’avait encore jamais mis les pieds hors de Luminae. Il n’avait qu’une idée très vague concernant les conflits de l’extérieur – à vrai dire, il n’y accordait pas grande importance ; que pouvait-il y avoir de plus important que la caresse de la brise au petit matin, l’odeur puissante de la pluie, les coulures de lumière sur les feuilles ? Gaïa nous aime ; Gaïa est partout. Par jeu, Nuit lança une trille d’oiseau et s’amusa d’entendre un volatile lui répondre ; enfin, il quitta l’arbre contre lequel il était lové et s’aventura hors de la grande ombre protectrice de la forêt. Après tout, puisque la Mère l’aimait, que pouvait-il lui arriver ? ![]() |
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Super chro, belles descriptions, on est mis dans l'ambiance!
Vivement la suite. La liberté n'est pas un comportement, c'est une façon de penser. |
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J'adore !
Une suite, une suite .......... |
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Superbe, tant au niveau du texte que du dessin... Comme d'habitude en fait ![]() |