Trois rêves pour un destin | |
Topic visité 199 fois Dernière réponse le 28/11/2006 à 03:13 |
![]() |
Here’al ouvrit brusquement ses yeux d’ambre. Les ténèbres de la nuit environnaient sa tente. Lui, allongé sur sa couche, le cœur battant, le souffle court, gardait néanmoins un visage calme et impassible. Mais ses membres étaient encore légèrement tétanisés. Tant bien que mal, il essaya de rassembler les souvenirs, vagues mais cependant très clairs, de ce troisième cauchemar.
Comme d’habitude, le Cerf au pelage blanc, aux bois d'airain et aux sabots d'or, était venu le chercher à l’orée du bois d’Alwestedzag et l’avait conduit, pendant plusieurs heures, de plus en plus profondément dans la forêt. Comme les deux dernières fois, ils avaient atteint la clairière. Et contrairement aux deux dernières fois, il y avait au centre une étrange forme vaguement elfique, aux contours flous et composée, semble-t-il, de taches de couleurs violette, verte et ocre qui se tordaient avec force reflets moirés. Le premier cauchemar avait montré à Here’al, à la place de cette entité immatérielle, un monstre horrible ressemblant grandement à une sirène de deux mètres de haut environ, dont tout le corps était couvert de poils noirs. Un voile de soie noire lui cachait les yeux. Ses griffes et ses crocs étaient démesurés par rapport à ses mains et à sa gueule. Dans le deuxième rêve apparaissait, au milieu de la clairière, une sorte de distorsion de l’air ambiant en forme de sphère. Un léger rouge bordeaux colorait cette réalité disloquée et faisait ressortir ses contours. Chaque fois, le rêve s’arrêtait ici. Here’al avait ressenti une énorme frayeur l’avant-veille, devant le monstre sirénien, et la nuit suivante et celle d’après, une curiosité mêlée d’intrigue. Mais chaque nuit, il s’éveillait néanmoins le cœur battant à tout rompre et la respiration difficile. Puisqu’on était au début de la saison de la Grande Cuvée, et qu’il faisait encore fort sombre, l’elfe conclut que l’aube mettrait longtemps à venir. Here’al réfléchit. Un rêve qui se produisait trois fois d’affilée, et à plus juste titre s’ils ne différaient qu’en un point, ne pouvait pas être considéré comme une coïncidence. Heureusement, Here’al sentait qu’il pouvait se confier à un compagnon de route. Kowu était un elfe sage et avisé. Here’al irait lui parler à son lever. En attendant, il savait qu’il aurait du mal à se rendormir. Prenez garde à ceux que le Monde dota de conscience ; ce sont les plus versatiles des êtres, et leur coeur peut cacher beaucoup de bien comme le mal le plus absolu. |
![]() |
Le matin du quatorzième jour de la Grande Cuvée n'était pas encore arrivé que Kowu était déjà sur ses pieds, respirant l'air frais de l'aube proche et se préparant d'avance à la Chasse, même si tous les participants n'étaient pas encore arrivés. Peu de Loups s'étaient levés à cette heure-ci, mais Here'al, par mesure de précaution, décida d'entraîner Kowu un peu à l'écart du bivouac pour lui faire part de ses interrogations.
- Kowu, je sais que vous êtes un Loup plein de bon conseils et j'ai décidé de vous en demander un. Cette nuit, ainsi que la veille et que l'avant-veille, j'ai fait un rêve qui se résumait chaque nuit à la même chose, mis à part la fin : un cerf, ou peut-être même le Cerf, venait me rencontrer à l'orée ouest du bois d'Alwestedzag et m'entraînait de plus en plus profondément à l'intérieur durant un temps qui pourrait, je pense, être compté en heures. Au bout d'un moment, nous arrivons à une clairière, certainement presque au coeur de la forêt. Ce qui change, chaque fois, c'est ce qui se trouve au milieu de la clairière. La première nuit, ce fut un monstre qui ressemblait à une sirène de deux mètres de haut environ, dont tout le corps était recouvert d'une fourrure d'un brun sale. Elle avait des griffes et des crocs bien trop grands pour les proportions de ses mains et de son visage et un voile noir qui lui retombait sur les yeux. La deuxième nuit, ce fut une sorte de déformation, de distorsion de la réalité, transparent mais légèrement teinté de rouge sombre, en forme de sphère. Je suis navré de ne pouvoir vous décrire plus précisément la chose, mais c'est l'image que j'en ai. C'était... comme ces ondes qui se produisent en cercles à la surface de l'eau lorsque l'on jette quelque chose dedans. Mais c'était en trois dimensions. Et puis, cette nuit-là, c'était un être étrange, composé uniquement de taches de couleurs violettes, ocres et vert sombre très floues, possédant une vague silhouette elfique et totalement immatériel. Here'al se tut et attendit la réaction de Kowu. - Alors, pensez-vous que je suis fou ? demanda-t-il avec un sourire ironique au coin de la lèvre. Le Loup laissa passer quelques minutes de silence qu’Here’al n’osait troubler. Kowu avait un visage paisible et regardait ailleurs. Rien ne l’indiquait, mais il réfléchissait sûrement au récit d’Here’al. Il finit par prendre la parole. - Qu'est-ce que la folie, Here'al ? Est-ce le fait de voir des choses qui n'apparaissent pas aux autres ? Kowu détourna son regard du ciel où pointait le début de la journée et ses yeux se posèrent sur Here’al avec intensité. - Si tel était le cas, nous sommes tous fous puisque chacun à notre façon, nous voyons le monde. Il se tut quelques instants, semblant prendre plaisir à cette phrase et son effet sur Here’al. - Luwö a dit un jour, reprit-il, "Dors, dors et je te parlerai." Les rêves, Here'al, sont l'essence même de la transe. Durant chaque transe, le rêve nous entraîne vers un état de perception autre que celui de nos corps physiques. Notre esprit est amené à une compréhension dont les limites ne sont bornées qu'à notre foi envers nos totems. Cependant, si le rêve fait partie intégrante de la transe, la transe n'est pas toujours un rêve. "Ne cherche pas une signification a tout". Ce sont les paroles d’Ismaël, qui apprit aux Loups à se méfier des interprétations trop hâtives de rêves que l'on prenait par erreur pour des présages et qui entraînaient bien des désagréments. A présent, Here'al, il faut te poser cette question : « le Cerf veut-il entrer en contact avec moi ? » Et si tu trouves la réponse, alors tu pourras commencer à chercher ou non la signification de tout cela. Here'al resta un instant silencieux. Puis il dit à Kowu : - Merci, Loup. Vos conseils sont la sagesse même. Je veillerai à les suivre à la lettre. Sans ajouter autre chose, Here'al sourit à Kowu et se détourna vers la forêt d'Alwestedzag, que l'on pouvait percevoir à l'horizon. Prenez garde à ceux que le Monde dota de conscience ; ce sont les plus versatiles des êtres, et leur coeur peut cacher beaucoup de bien comme le mal le plus absolu. |
![]() |
Le monstre le poursuivait. Il n’avait de cesse de le traquer. Sans cesse. Et Here’al fuyait. Il fuyait, sans s’arrêter, sans même chercher à reprendre sa respiration. Cette créature était trop horrible et l’elfe savait qu’il ne pourrait pas la vaincre dans un combat physique.
Ses poumons le brûlaient, de plus en plus, la douleur était insupportable. Elle le contraignit à s’arrêter. Cela devait faire trente minutes qu’il tentait d’échapper à cette monstrueuse sirène. Trente interminables minutes, qui avaient semblé ne pas avoir de fin. Here’al ne se rappelait même plus comment s’était engagée cette poursuite, cette course pour sa survie. Les arbres l’observaient. Adossé à un tronc, s’efforçant de se cacher, Here’al, la sueur perlant sur son front, se tordait la nuque pour voir par-devers l’arbre sans se révéler. N’apercevant personne, il ferma les yeux, poussa un soupir de soulagement et ramena son menton sur sa poitrine, s’efforçant de reprendre sa respiration. Soudain, un craquement de feuilles mortes. Discret, presque inaudible. La panique. Un souffle chaud sur son front. Léger, imperceptible. Des tremblements. Affolé, Here’al ouvrit violemment les yeux, qui s’écarquillèrent simultanément. Le monstre était juste devant lui, qui le toisait de ses deux mètres. Ne prenant même pas la peine de jeter un seul regard à son visage, Here’al cria et tenta de glisser le long du tronc. Ses paupières se soulevèrent, cette fois pour de bon. Bien qu’il ait encore la vision de la créature, si insoutenable pour lui, il distinguait la haut de sa tente, difficilement car noyé dans l’obscurité. Here’al alluma une bougie grâce à ces petites tiges de bois munies d’une boule de salpêtre et une plaque de souffre. Une invention naine récente, mais un citoyen de Kazad a Gorog rencontré sur les routes il y a peu avait accepté de lui en vendre un lot de deux cent pour dix pièces d’or. Here’al essuya la sueur qui perçait la peau de son front et submergeait presque ses fins sourcils. Les palpitations de son cœur se calmaient et, une fois qu’il put réfléchir posément, il s’interrogea. Pourquoi donc ce rêve prenait-il sa suite maintenant ? Etait-ce le fait d’avoir parlé à Kowu ? D’avoir suivi ses conseils, de n’avoir pas cherché à comprendre, mais juste à suivre ce que lui dictait son esprit ? L’elfe se recoucha. Il était épuisé. Malgré les questions qu’il se posait et la peur de faire un nouveau cauchemar de ce genre, il s’endormit rapidement. Une nouvelle journée de chasse commençait. Les elfes des Lunes s’apprêtaient à partir dans les marais. Here’al, malgré sa fatigue, les suivit et pénétra dans le territoire de la fange et des vermines. Comme la veille, ce jour de chasse ne devait rien rapporter de bien consistant... Prenez garde à ceux que le Monde dota de conscience ; ce sont les plus versatiles des êtres, et leur coeur peut cacher beaucoup de bien comme le mal le plus absolu. |
![]() |
Les rêves continuaient en effet leur chemin. L’avant-veille, Here’al était tombé sur cette sphère étrange. Il venait d’interroger du regard le Cerf, qui lui avait indiqué d’un mouvement de tête d’entrer à l’intérieur de la distorsion. Here’al, plein de confiance en son animal totémique, avait ainsi fait. Mais à peine un pas fut-il fait à l’intérieur de la « sphère » que l’elfe fut pris de souffrances incroyables. Il tenta de sortir, mais il était piégé, en stase, dans cet espace infernal qui le rendait fou de douleur. Ses bras, sa tête, ses yeux, son dos, aucune parcelle de son corps n’était épargnée. De partout, il sentait des contusions, blessures, brûlures, fractures qui anéantissaient son corps ainsi que son esprit. Mais de tout cela, c’était son cœur qui lui faisait le plus mal. Il battait si fort, si rapidement, qu’Here’al pressentait qu’il allait se rompre et déverser tout son sang à l’intérieur même de son torse. Cependant, au vu de la douleur à laquelle il était soumis, il aurait nettement préféré la mort, même une de laquelle il ne reviendrait pas. Mais pourquoi donc Hadès l’appelait à lui dans les moments où il ne le souhaitait pas et pas dans ceux où il le voulait ?
Quoiqu’il en soit, Here’al s’était réveillé encore une fois en pleine nuit et se souvenait avoir tâté toutes les parties de son corps pour vérifier qu’il était entier. Mais il commençait à comprendre ce qui se passait. Durant ce rêve, il avait ressenti la pleine puissance de la volonté du Cerf. S’il était entré dans la sphère, c’est que l’Esprit du Cerf le lui avait conseillé. Et, malgré la douleur, Here’al avait senti que son totem était content, fier de lui. Fier qu’il ait accepté sa demande sans savoir où cela le mènerait. Here’al passa le reste de la nuit en position du lotus, recherchant à prendre contact avec l’Esprit du Cerf. Il n’avait jamais fait cela auparavant mais, au bout de quelques heures de persévérance, il parvint à effleurer cette communion avec son totem. Ce n’était pas suffisant pour espérer découvrir le but du Cerf, mais qu’importe. Here’al percevait en lui-même une étrange sensation. Comme si son clan tout entier avait été abandonné. Non par le Cerf, mais par son intermédiaire avec le monde matériel. Here’al savait bien que dans un passé immémorial, les shamanes jumelles du clan du Cerf, Elonia et Khera, avaient disparu suite à la Guerre des Clans entre les elfes des Lunes. Le clan du Cerf avait dû nommer un shaman suppléant en attendant leur retour, qui n’était pas encore arrivé. C’est ainsi que différents remplaçants s’étaient succédés, toujours dans l’espoir de revoir un jour Elonia et Khera. Et maintenant, Here’al sentait que le shaman actuel n’était plus en mesure de faire le lien entre le Cerf et son clan. Au petit matin, Here’al ne partit pas à la Chasse. Il resta dans sa tente, sans manger, tentant d’établir un quelconque lien entre son esprit et celui du Cerf. Et, dans l’après-midi... Prenez garde à ceux que le Monde dota de conscience ; ce sont les plus versatiles des êtres, et leur coeur peut cacher beaucoup de bien comme le mal le plus absolu. |
![]() |
Cette forme étrange, aux couleurs changeantes, s’avançait vers lui. Here’al la laissa approcher. L’entité tendit le bras vers lui. Par pur réflexe, l’elfe se recula, mais il fut soudain arrêté par sa propre volonté. Il "entendait" l’Esprit du Cerf lui demander silencieusement de se laisser faire.
A l’instant même où l’étrange être toucha le front d’Here’al du doigt, tout bascula. Here’al fut projeté dans un monde de couleurs et de formes mouvantes, floues, immatérielles. Il était anesthésié, comme sous l’effet d’un alcool particulièrement violent. Et ses perceptions s’amenuisaient petit à petit. Il ne voyait déjà plus les arbres ni le sol, et commençait à perdre ses autres sens. Il n’entendait plus les oiseaux pépier, il ne sentait plus la terre sous ses pieds, il ne recevait plus cette apaisante odeur d’humus qui s’échappait des feuilles mortes tombées à terre. Here’al commençait à paniquer. Sans ses sens, il n’était plus rien. Il était complètement perdu dans un monde étrange. Cela lui causait un malaise insupportable. Des nausées lui vinrent, de ces nausées qui prennent un être en grande détresse, submergé par l’angoisse. Il tomba à genoux et vomit. Ce fut à ce moment qu’il se remémora ce qu’il avait ressenti de l’Esprit du Cerf dans son dernier rêve. Il avait été content de lui. Il devait en être de même maintenant. Here’al laissa aller ses pensées et s’envoler son âme. Et le Cerf communiqua avec lui. Here’al comprit alors. Ces trois rêves... Ne symbolisaient pas le Cerf, comme il l’avait cru au premier abord. Ils le symbolisaient lui. Ce monstre était l’incarnation de ses profondes peurs, cette sphère la représentation de son dévouement au Cerf et cette… entité, et ce monde étaient l’image même de son inconscient, son côté spirituel. Here’al savait ce qu’il devait faire. Un nouveau haut-le-cœur le saisit, mais il put s’empêcher de rendre encore une fois le contenu de son estomac. Il s’accommoda petit à petit à cet état des choses, à cette transe qui lui semblait maintenant si familière. Les nausées disparurent, l’angoisse s’amenuisa. Lorsqu’il fut assez à son aise, il put chercher avec son esprit le moyen de revenir à la normale. Se calmer, se concentrer. Il lui fallait visualiser son environnement. Il ferma les yeux, se souvint avec une précision qui l’étonna lui-même de la position de cet arbre, de la taille de la clairière, de l’emplacement et la forme de ce rocher... Here’al battit des paupières et n’en crût pas ses yeux : il état dans la clairière. Le Cerf le regardait et hocha la tête en signe de contentement. Il ne restait plus qu’à attendre le prochain rêve pour continuer sa victoire sur lui-même. A moins que… Il avait réussi. Par une seconde plongée en état de transe, Here’al s’était retrouvé dans la sphère de douleur, qui recommença immédiatement à le faire souffrir. L’elfe serra les dents et, sans pousser le moindre gémissement, supporta la souffrance. Il ne sut combien de temps cela dura mais, à la fin, la déformation disparut et il retomba à genoux. Il avait tenu grâce à la foi qu’il avait en l’Esprit du Cerf, cette foi que rien au monde ne pouvait ébranler. Quelques minutes plus tard, Here’al avait défait le monstre, qui s’était enfui dans les bois. Il essuya le sang qui gouttait de sa rapière et jeta un regard à l’Esprit, qui n’avait cessé d’être à ses côtés dans toutes ces épreuves. Alors, Here’al s’approcha du Cerf et posa la main sur sa tête. Enfin, il comprit le but de toute cette manœuvre que le totem avait imposé à l’elfe. Le shaman était mort il y a peu et le Cerf avait besoin d’en trouver un nouveau. Et c’est en Here’al qu’il avait placé ses espoirs. Ces trois rêves étaient l’enseignement du Cerf, enseignement qui l’avait mené jusqu’ici. Simultanément, Here’al apprit le véritable nom du Cerf, celui que seul le shaman connaissait... Ewyndill’ s’en fut, laissant Here’al seul, avec sa nouvelle charge de shaman, méditer sur ce qu’il allait faire pour le clan. Prenez garde à ceux que le Monde dota de conscience ; ce sont les plus versatiles des êtres, et leur coeur peut cacher beaucoup de bien comme le mal le plus absolu. |
![]() |
Magnifique, que dire de plus.
( Par contre l'usage trop frequent d'ittalique gene un peut ) |
![]() |
Corrigé avant même de voir ton comm ![]() Prenez garde à ceux que le Monde dota de conscience ; ce sont les plus versatiles des êtres, et leur coeur peut cacher beaucoup de bien comme le mal le plus absolu. |