Ce n'est pas encore terminé... | |
Topic visité 192 fois Dernière réponse le 26/11/2006 à 19:49 |
![]() |
Le matin du vingt-troisième jour des Longues Pluies, année 1952 du septième cycle selon le calendrier des elfes...
Le convoi avançait parmi les arbres séculaires. Une multitude d’animaux venait observer la progression des elfes des Lunes venus s’installer ici. Les charrettes, tirées par des cerfs ayant prêté leur force à ce déménagement, transportaient ce que les sacs péniblement chargés sur les épaules des nouveaux venus ne pouvaient contenir. Un peu à l’écart, juché sur une petite colline, Here’al observait la marche à travers les arbres et veillait à ce qu’elle ne connaisse pas d’accroc. Il portait par-dessus ses vêtements ordinaires une nouvelle mante en coton tressé, d’une épaisseur peu commune et sur laquelle on pouvait voir, dans le dos, des fils d’or qui formaient le symbole du Cerf : des bois encadrant deux lunes pleines, l'une au-dessus de l'autre. Son bras gauche n’était pas passé dans la manche correspondante, étant encore en écharpe depuis son combat contre le monstrueux serpent qu’ils avaient réveillé, lui et les autres elfes participant à la Grande Chasse, dans le marais d’Alwestedzag. Sa rapière était assujettie à son fourreau, et il tenait à la main droite un sceptre de bois noueux le dépassant en taille, serti d’une émeraude ouvragée en son sommet. La tête d’Here’al était ornée d’un serre-tête de cuir rigidifié sur lequel étaient fixés des bois de cerf. Ainsi vêtu des habits cérémoniels qui lui avaient été offerts par tout son clan suite à son passage au rang de shaman, il donnait l’impression d’être bien mieux bâti et carré d’épaules qu’il ne l’était réellement. Il souriait tranquillement alors qu’il surveillait le voyage des siens à travers la Forêt des Cendres, jusqu’à l’endroit qu’ils s’étaient fixés comme nouvel emplacement pour remonter leur village. Ou, plus précisément, le bâtir. Pour de bon. Here’al ne comprenait pas pourquoi ses prédécesseurs avaient désiré rester dans la plaine, vivant dans un bourg fait de tentes. Seule la maison qu’il avait faite construire il y a plus de cinquante ans était en bois, là-bas. Et elle y avait été abandonnée. Here’al en désirait une neuve. Trop de mauvais souvenirs hantaient son ancienne demeure, il l’avait compris lorsqu’il y était retourné, la saison précédente. Sa vie prenait un nouveau tournant. Enfin, le deuil de son mariage était totalement terminé. Il avait mis longtemps, mais il avait réussi. Il en avait fini avec tout ça. Il était le nouveau shaman du clan du Cerf. C’était sur sa demande que le village entier avait laissé derrière lui les plaines qui s’étendaient à l’est des marécages de Tyrdras, trop peu sûres maintenant, et émigré dans la Forêt des Cendres. Une voix féminine et triste apparut derrière le shaman, alors que celui-ci réfléchissait à sa nouvelle fonction au sein du clan. - C’est toi qui as organisé tout ça ? Here’al ferma les yeux, sans se retourner. Il déglutit difficilement. - Le clan du Cerf n’était plus en sécurité dans les plaines. C’est une bonne idée, continua-t-elle. A propos, félicitations pour ton nouveau poste. Mais être shaman ne va pas t’obliger à quitter ta vie d’aventurier ? - Si je dois rendre cette coiffe, cette mante et ce sceptre pour avoir ma liberté de mouvement, je le ferai sans hésiter, répondit Here’al d’un ton qui se voulait rude. Je n’arrêterai mes voyages pour rien au monde. - Exact. Tu ne l’as même pas fait pour moi. - S’il devait en être ainsi, il n’y avait pas à hésiter, Maëlya. Si ma vie ne s’accorde pas avec l’amour d’une personne ou la tradition de mon clan, tant pis. Rien ne compte plus que le voyage, c’est tout. - A propos, la Croisée des Chemins se porte-t-elle bien ? demanda Maëlya en se plaçant à quelques dizaines de centimètres au côté d’Here’al. - Pour l’instant, nous sommes séparés. A vrai dire, les Guides que j’avais acceptés au début ont abandonné. Ils sont partis de leur côté. Parmi ceux qui me restent, je ne compte que Dace. Mais toi, que deviens-tu ? Sa question resta sans réponse durant quelques secondes. - J’ai vécu en nomade. Je ne voulais pas retourner là où nous avions passé notre vie commune. Here’al savait qu’elle avait eu du mal à avouer cela. Sa fierté naturelle la contraignait à ne rien exposer de ses sentiments, en temps normal. Il concevait aussi qu’une vie solitaire, où l’on doit se débrouiller par ses propres moyens pour survivre, était très ardue. En une seconde de réflexion, le Cerf commença à voir où Maëlya voulait en venir, sans pourtant oser trop y croire. Elle avait besoin d’aide. Here’al fut frappé par cette évidence. Elle se renseignait sur la Croisée des Chemins pour gagner sa confiance, lui disait qu’elle vivait seule, en milieu sauvage... Apparemment, Maëlya voulait être entourée par des êtres qui sauraient l’aider. Mais... non, ce n’était pas Maëlya. Jamais elle ne demandait d’aide, jamais elle n’avouait être dans le besoin. - Que veux-tu ? demanda-t-il brusquement. - Que veux-tu de moi ? répondit-elle du tac au tac. Sa voix se perdit dans l’atmosphère. Here’al savait pertinemment ce qu’il voulait de Maëlya. Le plus dur était maintenant de le lui dire. Après une minute de mutisme, il osa enfin. - Je veux… Je veux de toi… Nouveau silence. Les mots restaient bloqués en travers de sa gorge. Here’al s’oublia, oublia qui il était, qui elle était, il oublia leur vie passée ensemble. Il en arriva à la considérer comme une vague connaissance, pour qui il n’avait aucun sentiment, ni bon, ni mauvais. Cet état d’esprit ne durerait pas longtemps, il devait faire vite. - Je veux de toi que tu partes, Maëlya. Quoi que tu sois venue demander, chose dont je m’étonne fort, je ne te l’accorderai pas. Les oiseaux même semblaient avoir arrêté de chanter. Maëlya laissa échapper un petit sourire qui colora ses lèvres. Elle tourna la tête vers Here’al. - Tu es devenu un peu plus perceptif, félicitations. Il y a quelques saisons, tu n’aurais certainement pas encore compris que j’attendais quelque chose de toi. Rassure-toi, je ne suis pas là pour t’imposer un quelconque choix draconien comme la dernière fois que nous nous sommes retrouvés. Je ne demande qu’une chose... - C’est non, la coupa Here’al fermement. - Je souhaite mettre fin à cette vie que je mène, continua l’alchimiste en feignant de ne pas avoir entendu la réplique de son ancien mari. Je veux pouvoir m’installer et bénéficier d’un peu plus de confort. Et, comme tu le vois, c’est à toi que je le demande. Je viens t’implorer, me jeter à tes pieds pour que tu acceptes, termina-t-elle avec un sourire narquois. Te sentir seigneur, n’est-ce pas ce que tu souhaites ? Elle se rapprocha d’Here’al et posa sa main sur son épaule, puis descendit jusqu’en haut de sa poitrine. Le shaman saisit son poignet et l’écarta de son corps. Il ferma les yeux et inclina la tête. - Si j’ai tout compris, tu veux que je t’aide à trouver un abri, c’est bien ça ? - Exactement. - Quoi que tu en penses, c’est un véritable dilemme que tu me proposes. Tu ne fais pas partie du clan du Cerf... - J’ai vécu avec l’un d’eux durant cinquante ans. Je connais tous les membres de ton clan, peut-être mieux que toi-même. - Oui. Mais il y a une autre objection. Tu n’es pas elfe des Lunes. Depuis notre divorce, tu n’as plus aucune relation avec les Cerfs. Ta place n’est pas chez nous. - Tu te venges, c’est bien ça ? lança-t-elle en souriant. Mais je sais que tu as un grand cœur, Here’al... Ne voudrais-tu pas faire un effort et aider une elfe dans le besoin ? Here’al n’avait pas vraiment le choix. Il ne pouvait pas la laisser comme ça, à vadrouiller dans la Forêt, sans cesse à la recherche de nourriture et d’un toit provisoire où passer la nuit. - Bien, je suppose que c’est la meilleure solution. Va les rejoindre, dis-leur que tu viens de ma part. Ils t’aideront. - Tu ne le regretteras pas, Here’al, je te le promets. - Oui, je sais que tu n’es pas du genre à te comporter en ingrate. Allez, va, je dois continuer d’organiser le voyage. - C’est difficile à dire, répondit Maëlya en tournant le dos à Here’al, mais merci. Le shaman regarda Maëlya s’éloigner en direction du convoi, pensif. Totalement fini mon deuil, tu parles... Prenez garde à ceux que le Monde dota de conscience ; ce sont les plus versatiles des êtres, et leur coeur peut cacher beaucoup de bien comme le mal le plus absolu. |
![]() |
Toujours une aussi belle plume l'elfe.
Vivement qu'elle se tache de sang a ma rencontre ;D |