Partit de Quatar depuis une lune et demi, Crocfendu se tenait aux abords de la rivière séparant les terres du Prim’Erath de celle des olympiens. Le calme le plus plat régnait, les olympiens ne se manifestait pas et l’éclaireur qui était sensé venir le remplacer à son poste ne venait pas non plus. L’elfe tombait de fatigue, cela faisait deux nuits qu’il gardait l’œil ouvert. Bien qu’essayant de garder sa concentration jusqu’à la relève, il se prit à s’évader dans ses pensées qui peut à peu devinrent songes. Son passé revint alors le hanter de la même façon qu’une vieille blessure se remet à saigner.

Crocfendu ouvrit les yeux et constata qu’il était dans un petit village peuplé d’elfes. Chacun vaquait à ses occupations, les sentinelles retendaient leurs arcs, le forgeron faisait retentir son marteau, les marchands clamaient la qualité de leurs produits… Un groupe de jeunes elfes qui jouaient à se courir après vint à passer devant Crocfendu. L’un d’entre eux portait dans ses longs cheveux trois tresses arborant un assemblage de perles colorées que le quatarite reconnu immédiatement : il avait exactement les même en arrivant à la cité d’Archéos. Il comprit alors qu’il était en train de revivre le jour précédant celui où il allait passer le rituel du clan pour être reconnu comme adulte. Le lendemain marquerait son bannissement, mais il l’ignorait encore à cette heure.
Crocfendu voulut appeler le jeune elfe qui lui ressemblait mais aucun son ne sortit de sa bouche, ici il ne serait que spectateur.
Suivant le jeune elfe, il revu ses parents. Celui-ci n’avait jamais été proche d’eux, son père passait plus de temps dans la taverne qu’à faire marcher son commerce et sa mère qui était une gardienne du village, se tenait depuis des années dans un état proche de la mort, après avoir été blessé lors d’une chasse aux loups quatre ans après la naissance de son fils.

La journée se passa rapidement. A la fin de celle-ci Crocfendu se rappelait des noms de chacun. Souriant en voyant le village se préparant pour la nuit, il entendit une voie qui lui glaça le sang :

-Wutenheld ! Hé ho ! Wuten !

Cela faisait des années qu’il n’avait plus entendu son nom. Il se retourna et vit une jeune elfe qui courrait vers « son lui passé » en faisant des gestes de la main. Elle était vêtue d’une tunique blanche attachée par une broche finement travaillée où l’on pouvait voir le symbole de la famille Hunwold, qui était la plus influente du village. Crocfendu reconnu les cheveux rouge sang et les yeux de Mina, plus bleus qu’une aigue.
Mina était sa meilleure camarade de jeu et bien qu’elle fut plus âgée que lui, il espérait qu’une fois qu’il ait passé le rituel du clan, elle accepterait de rester avec lui.

-Alors ? Tu t’es préparé pour demain au moins ? Regarde ça ! Ta tunique est plus crasseuse que les pieds d’un sauvage !
-J’allais justement pour la laver. Il parait que quand Egiras s’était présenté devant l’ancien, il avait reçu un bâton comme première arme tant sa tunique était mitée et poussiéreuse ! Je file au ruisseau, tu viens avec moi ?… J’espère recevoir au moins une dague, et au mieux un arc !

Crocfendu ne se souvenait que trop bien de se qui se passa après.
La tunique une fois lavée, les deux elfes grimpèrent en haut d’un arbre pour voir le soleil disparaître derrière l’épaisse forêt qui entourait le village. Les rayons dorés brillaient au travers des branchages, le ciel se teinta d’or et de rouge et un vent léger faisait balancer les arbre tels une calme mer verte. Aucun paysage n’était plus beau pour le jeune Wutenheld, et dans la magie de cet instant, Mina lui prit la main et lui susurra à l’oreille :

J’aimerais que toute ma vie ressemble à cet instant… Reste toujours avec moi Wutenheld.

C’était la dernière phrase que Mina ne lui dit jamais et la dernière fois qu’il ne vu le doux sourrir de l'elfe.

Tout s’accéléra soudain sous les yeux de Crocfendu, les heures devinrent des minutes, il revit alors le conseil et le signe de mauvais augures le conduisant droit à la caverne de la piété pour être jugé, le moment où prit de folie par la magie de la piété il arracha la tête de celle-ci, l’ancien hurlant ses malédictions en voyant l’elfe sortir avec la tête décapitée.
Le temps s’accéléra encore et encore. Il se revit errer dans la grande plaine d’Olympia maudissant les titans et les dieux; recevoir l’espoir avec un simple bandeau de couleur sombre; apprendre les bases de la stratégie militaire avec Hemsilk et Tarlag; son goût pour le sang se développant; combattre dans de nombreuses batailles pour la gloire de l’ennemis des autres dieux…

Tout devint si rapide que Crocfendu ne pu plus rien percevoir. C’est alors qu’il sentit une main l’attraper par l’épaule et le tirer de son rêve: la relève venait d’arriver. Gêné par la situation, l’elfe lança sèchement en quittant les lieux d’un pas vif « Rien de neuf… Je retourne au campement. » ; mais dans ses pensés son âme hurlait :

« Quand le Prim’Erath reviendra, ta vie sera éternellement cet instant. »