Les grands froids avaient laissé les contrées géantes dans la panade, on pouvait le dire sans exagérer.
Dès que les cols furent de nouveau franchissables, les habitants les plus robustes de la cité principale et des villages accrochés aux falaises avaient quasiment déserté leurs logis pour partir en quête de nourriture et de matériaux.

Ainsi un petit groupe comme tant d'autres s'attelait à la traque de gibier et l'abattage de bois, dans une ambiance de franche camaderie.

- J'en ai marre… * Soupir.
- Moi j'ai d'la corne aux mains, ch'préfèrerais que ce soit à faire aut'chose que tailler des poutres. * Pareil.
- MOUAHAHAHA * Rire gras.
- Qu'est-ce tu vas penser toi ? * Claque sur la nuque.
- Tu parlais pas de trancher des longues-z'oreilles ? * Regard perplexe.
- …. Si… * Haussement d'épaules.

Et le petit manège reprenait. A dire vrai, il n'y avait pas un seul groupe uni et jovial mais deux. Qui se faisaient face et usaient de techniques diverses et variées, dans une compétition sainement stimulante.

- Sont pas très causants… * Regard noir.
- Pi ils crèchent là au milieu… J'en ai ma claque de contourner leur tas d'couvertures. * Chuchotement.
- Fous-y leur le feu. * Rire idiot.
- T'es fou y a du bois partout ! Ch'te raconte pas la tête du Boss si on crame tout… * Vérification par-dessus l'épaule que le-dit Boss n'entend rien.
- Faudrait qu'ils s'endorment un peu plus près des troncs. * Air entendu.
- Hinhinhin. *Hochement de tête.
- Comment qu'y disent ? Acxsidendcaske ? * Pouce qui tranche la gorge.
- ... T'es vraiment nul. * Regard exaspéré.


L'Oracle ne s'inquiétait pas trop de ces messes basses, après tout les journées étaient fastidieuses, voire plus encore… Presque une saison passée ici et des montagnes de troncs, des peaux tendues en travers de branches croisées en trépied, des carcasses dépecées que l'on cuisait ou fumait…

- Ca devient longuet c't'histoire…

Il plaça pour la énième fois un coin dans l'entaille qui avait été faite à la base d'un tronc. Un coup de gourdin magistral plus tard, l'arbre était par terre, son bois éclaté en longues lamelles inutilisables.

- NomdeZeus !

Hardaway jeta son gourdin en travers ce qui était maintenant une clairière.
Trois fois que les arbres explosaient sous ses coups.

- Rhaaaaaaaa ! Ca commence à bien faire ! Sont tous maudits les arbres ici ?

Il releva la tête vers le Nord, vers la forêt qui devenait plus dense et où l'on disait qu'un Dieu avait emménagé, entraînant dans son sillage une bande de renégats tous plus mauvais les uns que les autres…
Il passa une main sur ses joues et sa bouche, le temps de jeter un coup d'œil aux autres Géants qui le fixaient, interloqués.

- Quoi ?! J'm'énerve pas ! J'm'exprime !

Ils se trouvèrent tout de suite un tas de choses à faire un peu plus loin.
Hardaway donna un coup de pied dans l'espèce de sciure pleine de termites.

- Sales bêtes, vous êtes partout vous hein ? J'veux bien un de temps en temps, mais là vous croyez pas que vous insistez un chouillat trop ? J'vais pas passer encore une saison juste à éclater vos baraques hein, j'ai pas que ça à foutre. Un bon d'accord, deux c'est pas d'bol, mais trois, vous allez pas me faire croire que c'est une coïncid…

Il fronça les sourcils.

- Grumpf…

Il observa les insectes qui continuaient à creuser leur galerie, sans se soucier le moins du monde de ce qui pouvait bien se passer autour d'eux.
Il ressentait maintenant cette étrange impression, comme si ce qu'il voyait correspondait à autre chose autre part… Un événement similaire donc les acteurs et les lieux pouvaient être tous autres.

- Pfff…

Hardaway se frappa le front de son poing fermé.

- Ch't'en foutrais des visions moi… Vais encore passer la nuit à faire d'la cuisine d'Eléments… Ch'peux pas juste couper du bois comme tout l'monde ?

Malgré les nombreux et répétitifs conseils de Manra l'ancien Oracle, Hardaway peinait à accorder toute la patience nécessaire aux différentes étapes de préparation qui devaient l'amener à développer ses visions.
Pour lui, cela tenait davantage d'une affaire de mélanges de poudres, de fumée qui piquait les yeux, de potions amères qu'on ne ferait même pas boire à son chien et tout ça pendant des heures et des heures interminables. Au final, il estimait que toute la phase mystérieuse était simplement destinée à camoufler aux yeux des incrédules cette simple vérité :

"Si les Eléments ont kekchôse à dire, bah ils le disent."

Cependant, en mémoire de Manra qu'il respectait comme son propre père, pour animer une soirée qui s'annonçait aussi morne que les précédentes et aussi un peu pour épater la galerie, il se plongea donc toute la nuit dans ses mixtures encouragé par de vieilles odes géantes pleines de gloire, et, une fois que tout le monde eut déserté la scène pour aller dormir, de chansons paillardes autrement plus motivantes.

Au matin, la Terre et l'Eau avaient révélé une partie de leur secret.