La nuit était plus sombre dans cette partie de la forêt, il était à la fois aisé d’y trouver ses marques et tout autant inquiétant, coïncidence ou pas, c’était un endroit où le Corbeau s’était souvent arrêté lorsqu’ils avaient des choses à arranger à Na’Helli.
Une seule torche éclairait le campement d’une quinzaine de tentes, ceux assignés à la garde étaient inaudibles, le seul endroit où on pouvait entendre quelques voix était une tente entièrement noire, c’était la seule tente qui n’avait pas la coloration habituelle des peaux de bête desquelles étaient fabriquées les autres. Il s’agissait d’une tente particulière sans aucun doute, dans ce campement qui semblait désorganisé, c’était celle de l’intendante chamane Kyrah. Si plus personne ne contestait sa place depuis longtemps, beaucoup préféraient éviter de trop avoir affaire à elle, réputée pour être juste, honnête et lunatique, mieux valait entretenir des relations étroites mais bonnes avec elle.

Pourtant, il y avait deux membres du clan à qui personne n’avait donné cette frayeur : le premier était le meilleur gardien de Kyrah et son plus fidèle confident, dont plusieurs doutaient des origines, même s’il était Corbeau depuis plus longtemps que deux générations, son passé avait toujours suscité des interrogations. Le second, ou plutôt la seconde, était une jeune elfe à la peau claire, dont les yeux et les cheveux avaient une étrange couleur bleu clair. Le Corbeau ne rejetant pas les siens pour leur apparence, cette particularité était juste un signe (très) distinctif.

« Chamane Kyrah ! Chamane Kyrah ! Et ça c’est quoi ? »
« Tu me l’as demandé il y a trois nayons, petite, tu as oublié ? »
« Non, chamane Kyrah, mais tu as pas voulu me le dire. »
« Pourquoi donc te le dirais-je maintenant ? »
« Parce que j’ai été sage ! »
« Tu sais, il ne suffit pas d’être sage pour avoir ce que l’on désire. »
« C’est ma maman qui m’a dit que… »
« Mais ta maman avait sans aucun doute raison, à ce sujet là. Est-ce que tu sais que parfois il ne faut pas rester sage et ne rien dire ? »
« Ah ? J’ai le droit d’être méchante ? »
« Non, pas d’être méchante, mais tu ne dois jamais faire, ou laisser faire, des choses contre lesquelles tu n’es pas d’accord. »
« Et on sait comment si on est d’accord ou pas ? »
« Je vais te donner un exemple pour faire plus simple, écoute bien.
Imagine qu’une guerre se déclare, par exemple, que le clan de l’Araignée sorte de son ombre fétide et qu’ils nous attaquent… »
« Les Araignées vont nous réattaquer ? »
« Ce n’est pas à l’ordre du jour, mais si ça arrive, notre clan risque d’être une de ses cibles préférées… Donc imaginons qu’un clan, quel qu’il soit, s’allie à eux. L’ordre serait d’abattre toute araignée à vue, mais de faire prisonnier ceux de l’autre clan. »
« S’ils nous attaquent on peut les tuer ! »
« Non, l’Araignée, parmi d’autres, est un clan qui représentera toujours une sournoiserie si perfide qu’elle en est indescriptible, et ils sont tout à fait capables d’obliger un clan… »
« Un clan entier ? »
« Peut être même plus qu’un clan. »
« Parce qu’ils les paient ? »
« Peu de clans agissent pour de l’or, mais ça pourrait être possible. Bref revenons aux prisonniers. Imagine que l’Ashka Teranil te demande d’en tuer un. Si tu sens quelque chose ici… »

Kyrah posa ses mains sur la poitrine naissante de la jeune elfe.

« Si tu sens que tu n’as vraiment pas envie de le faire, alors tu dois le dire, mais pas seulement dire ‘non’, sinon l’Ashka Teranil pourrait se fâcher, mais tu dois lui dire pourquoi tu ne veux pas et lui expliquer ce que tu ressens et il comprendra. Pense toujours qu’un ordre ne doit être suivi que s’il va dans le sens de tes décisions personnelles. »
« Chamane Kyrah ? »
« Oui ? »
« Mais finalement, c’est quoi ça ? »

Kyrah éclata de rire, regardant le petit objet du coin de l’œil.

« Tu n’abandonnes jamais, hein petite… »

…

Mignon et sérieux à la fois... J'aime beaucoup !