« Moi aussi je t’aime grand frère !!! »

Elle sortit précipiter de la maison, sans refermer la porte.

« Kyra Lissëssul ! Reviens tout de suite ! Kyra !!! »

Mais la jeune fille s’enfuit dans le crépuscule sans écouter son frère qui lui hurlait dessus. Après une longue marche, elle pénétra dans une taverne dans le but de retrouver Sylia, l’elfe guerrière. La jeune elfe balaya d’un regard apeuré toute la pièce et vit un olympien, assez imposant, assit à côté du feu.

« Ah sale olympien… »

Il la regarda droit dans les yeux, ayant un air accablé et calme.

« Je ne vous ai pas agressé, alors en quel honneur le faites vous ? »
« Je fais ce que je veux, et surtout devant un olympien »

Il la regarda désespéré et se tu. Il se concentra et murmura un charabia incompréhensible. L’elfe s’avança d’un pas assuré vers le comptoir, demandant à la serveuse, que jadis Sylia et Kyra avaient fait comprendre, très clairement, ce qu’elles désiraient boire, un jus de raisin. L’air malicieux et provocateur de Kyra reflétait celui de son grand mentor : Sylia Leïthael ! Elle s’installa alors dans son canapé favori et se mit à son aise.

« Vous faites quoi vous là bas ? »

L’olympien ne répondit rien. Kyra leva les yeux au ciel et se concentra à son tour. Un sourire espiègle se forma sur son visage et elle posa son regard sur l’étranger. Les sourcils du pauvre homme avaient gelés et la jeune elfe était morte de rire, se tapant à la limite les genoux.

« Ne m’agressez pas de nouveau jeune sotte. »

Il dit cette phrase avec un grand calme, frottant ses sourcils pour enlever la glace. Elle haussa un sourcil.

« Ca vous donnez un air ahuri ! Ce qui vous allez très bien ! »
« … »

Riyaréos se concentra de nouveau laissant l’elfe dans son délire. Il marmonna des paroles, une fois de plus, inaudibles. Elle sirota son verre lorsque, enfin, Sylia montra le bout de son nez. Elle arriva en trombe comme d’habitude et salua vaguement l’olympien. Quand elle fut devant Kyra, elle sourit.

« Salut l’amie ! Comment ça va aujourd’hui ? Mon cousin n’est pas trop fatigué ?! »
« Heu, non non. Il va très bien… », elle rougit légèrement. « Tu connais cet énergumène ? », montrant Riyaréos.
« Mais voyons Kyra ! Il est… », elle se renfrogna et murmura…

La jeune elfe écarquilla les yeux et fronça les sourcils. Elle gela ceux de Sylia et partit dans les cuisines.

Sylia détestait la magie. Depuis sa plus tendre enfance, cela lui avait toujours fait horreur. D’abord parce qu’étant absolument incapable de la pratiquer, elle avait toujours eu du mal à y croire ; ensuite parce que ses parents, vénérables magiciens, avaient rendu cet art trop prétentieux aux yeux de leur fille. Aussi, lorsque la vague de froid s’abattit sur ses sourcils, la guerrière faillit bien perdre contenance.

« Kyra !! Non mais t’es pas bien ? »

Pour toute réponse elle eut droit à un claquement de porte précédé d’un petit rire aigu. L’elfe se frotta vigoureusement les yeux, à moitié aveuglée par le sort. Quand elle parvint enfin à y voir clair, plus de Kyra.

« Quelle mouche l’a piquée ? Me faire ça à moi… »

Elle entreprit d’arracher les flocons de givre encore collés : impossible. La magicienne avait déployé toute son énergie pour que la dissipation soit ardue. Sylia pesta et se tourna vers la cheminée avec un maigre espoir.

« Après tout, le feu ça dégèle en temps normal… »

Mais elle hésitait : Riyaréos faisait toujours face au feu, impassible. Que pensait-il d’elle à ce moment précis ? Si elle se rapprochait si près de lui, comment allait-il interpréter la chose ? Elle se maudit intérieurement. C’était sa faute, entièrement sa faute. Jamais elle n’aurait dû proposer ce défi idiot. Elle ferma les yeux, se remémorant le dialogue avec amertume…

« Je me nomme Riyaréos, et effectivement je suis paladin…
_ Ouais, ben du vent Paladin ! J’aime pas les paladins.
_ Pourquoi cela ? Vous savez, même entre frères nous sommes tous très différents. Ne généralisez pas.
_ Je généralise si je veux. Vos airs supérieurs me révulsent.
_ Pour l’instant c’est plutôt vous qui prenez un air supérieur…
_ Bien fait.
_ …
_ Très bien olympien, je veux bien essayer de faire un effort pour vous supporter si vous en faites autant. Mais vous ne tiendrez pas longtemps c’est moi qui vous le dit ! Les paladins ne sont pas faits pour ce genre de chose…
_ Nous verrons. »

Manifestement, elle s’était fourvoyée. Non seulement Riyaréos faisait preuve à son égard du plus grand des civismes, mais en plus cela ne semblait pas lui poser le moindre problème de conscience, contrairement à elle. L’olympien n’avait aucunement peur d’afficher en public son amitié naissante, tandis qu’elle en tremblait de honte dès qu‘un elfe les surprenait dans la taverne. L’idée de paraître ridicule devant Kyra lui étant insupportable, l’elfe avait choisi de feindre l’indifférence face au paladin… Et maintenant qu’ils se retrouvaient seuls elle redoutait sa réaction.
La gorge nouée, elle dû tout de même se résoudre à aller réchauffer ses sourcils devant la cheminée. Riyaréos ne se poussa pas, ce qui l’obligea à se placer tout contre lui. Elle grommela. Il resta muet.

« Grumpf… ça fond pas ce truc…
_ …
_ Rhaaa, je hais la magie !
_ …
_ Qu’est-ce qui lui a pris bon sang ? On n’a pas idée…
_ …
_ …
_ …
_ Riyaréos ?
_ Oui Sylia ?
_ J’ai… perdu ? »

Le paladin parut d’abord ne pas comprendre, puis soudain il éclata d’un grand rire franchement amusé. Lorsqu’il redevint sérieux, ce fut pour plonger un regard réfléchi et pénétrant dans celui d’une Sylia de plus en plus mal à l’aise.

« Ce n’est pas un jeu Sylia, il n’y a jamais eu de défi. Juste une requête.
_ …
_ Non, vous n’avez pas perdu. »

L’elfe sourit faiblement tout en se penchant davantage au dessus du feu obstinément inefficace. Riyaréos s’apprêtait à enfin faire le pas de côté qui libérerait un peu plus d’espace lorsque la porte des cuisines se rouvrit à la volée…