La pluie, toujours la pluie. Voila désormais nombres jours que l’eau tombe du ciel sans jamais vouloir cesser. Rien d’étonnant, la saison est propice à cela.

Depuis plusieurs lunes déjà un appel, une supplique. Au début ce fut faible, un simple murmure, mais au fil du temps, cela s’amplifia pour venir raisonner en moi comme un besoin, une envie inextinguible. L’attachement à l’élément se fait sentir de plus en plus insistant.

Ce matin, bien des heures avant le lever du jour, l’oracle est venu me chercher en personne, moi le mentor de l’élément afin de guider ceux pour qui c’est la première fois. Je les ai accueilli, leur ai appris ce que je savais et c’est aujourd’hui pour eux un passage clé dans leur existence de géants de l’eau.

Une fois réunis, autour d’un frugal petit déjeuner, il me fait part de la décision qu’il a pris quand à l’endroit. Cette année, il a choisi un endroit plus reculé que les années précédentes. Peut être un moyen d’éprouver les jeunes, d’en faire des géants fiers et forts. L’oracle n’est pas connu pour encourager la médiocrité et la faiblesse.

Un fois contenté, nous sommes sortis dans notre cité, nous dirigeant vers les habitations des géants de l’eau. A chaque fois, ceux-ci étaient près et nous attendaient. Certains, coutumiers de la procession nous suivirent d’un pas assuré, d’autres, plus jeunes transpirait l’anxiété et la confrontation avec leur éléments semblait les avoir perturbés, peut être cela les a-t-il empêchés de trouver un sommeil réparateur cette nuit.

Une fois tous réunis, nous sommes passés devant l’autel élémentaire, l’avons salué et nous sommes mis en marche, suivant l’oracle qui ouvrait la marche. Le sentier que nous suivons a subi les outrages des intempéries saisonnières mais cela n’empêche pas notre progression et environ trois heures après le lever du jour, l’Oracle se tourne vers nous en déclarant :

« Nous y sommes ».

En effet, jusqu’ici, le brouillard persistant nous avait caché la vue sur les montagnes, les forêts et le paysage. D’un coup, à l’énoncé des mots de l’oracle, comme si les éléments nous avez reconnus, le brouillard s’évanouit et laissa place à un spectacle à couper le souffle.

Bien qu’habitué à ce rituel, je ne pus m’empêcher de féliciter intérieurement l’oracle pour son choix. La cascade de cette année était située au fin fond d’une vallée éloigné de Zagnadar. La cascade tombait le long d’une paroi d’une petite centaine de mètres qui formait le fond d’un cirque en plein milieu de la montagne, la vallée s’écoulant derrière nous. Comme un amphithéâtre, les collines dévalaient vers la rivière en forme d’hémicycle, leurs pentes recouvertes d’arbres aux feuillages rendus verdoyants par les pluies.

Me retournant vers mes semblables, je vis que chacun avait une réaction singulière : éblouissement pour les moins aguerris, satisfaction et respect envers l’oracle pour les autres pour avoir déniché un tel endroit.

Après quelques minutes de contemplation, un regard échangé avec Hardaway me fit comprendre que nous devions procéder. Il prit la parole :

« L'Eau est généreuse cette année. Vous voyez ici la puissance qu'elle peut engendrer. Celle que vous pouvez utiliser si vous la comprenez. Cette journée doit être pour vous un moment de réflexion sur vous et votre rapport à l'Elément. Vous en sortirez grandis, confiants et fiers de ce que vous êtes.
Tout au long de cette année, nous avons tous travaillé d'arrache-pied pour notre ville, pour ce cadeau que les Eléments nous ont donnés pour sauver nos vies. Nous pouvons être satisfaits de ce que nous avons réalisé et nous savons que nous pourrons en faire tout autant dès que les beaux jours reviendront.
Quand vous serez sous cette cascade, pensez à ce que vous avez accompli depuis votre dernier rituel de communion. L'endurance qui vous fait tenir sous cette cascade, c'est celle qui vous servira tout au long de votre vie.
Allez maintenant, posez-vous les bonnes questions et l'Eau vous apportera les réponses ».

Ainsi, chacun de nous se devetit et commença à prendre place sous cette immense chute d’eau afin de méditer et ressentir ce que l’élément voulait nous faire passer.

Nous y voilà donc.

En tant que mentor, mon rôle est de montrer aux jeunes les gestes de la cérémonie. Commençant à me dévêtir, j'en profitais pour faire un tour parmi les moins expérimentés d'entre nous. Le discours de l'Oracle les avait secoués et je les sentais nerveux. Je tentais de les rassurer, essayant de les préparer à leur rencontre avec l'élément, leur expliquant qu'il ne devais ressentir aucune crainte ni appréhension mais seulement se laisser porter par l'élément.

Une fois ceux-ci rassérènes, je finis de me déshabiller et alla prendre place sous la chute d'eau. Chaque année, au moment où je m'installe sous ces litres d'eau bouillonnants, la sensation que j'éprouve est la même: apaisement, réconfort et plénitude.

Au fur et à mesure du temps, la communion avec mon élément se fait plus forte et mes sens commencent à se dissiper, le poids de l'eau sur mes épaules semble s'évanouir, le bruit assourdissant de la cascade ne me paraît plus que le murmure d'un ruisseau.

En fermant les yeux, je commence l'introspection, la méditation et la réflexion.

Tout d'abord le noir. Cependant, tout près de moi je sens la présence de l'élément. Celui-ci semble se rapprocher de moi. Plus sa présence se rapproche plus je revois de quoi fut composé cette année de labeur: reconstruction, collecte des ressources pour la reconstruction, formation des jeunes.

Ce derniers flash sur la façon dont les jeunes de notre peuple sont formés m'interpelle et je commence alors à m'interroger sur la façon dont nous procédons pour les éduquer. A ce propos, j'adresse à l'élément: est ce que cette façon est conforme à ce que ceux-ci attendent?

Soudain, la pression de l'eau sur mes épaules se refait plus forte, plus pesante. Cependant, je ne veux pas partir avant d'obtenir une réponse de la part de mon élément. Je me concentre alors plus fort sur la perception que j'ai de ce cher élément. Au fur et à mesure, j'arrive à dépasser mes perceptions sensorielles afin de pouvoir communiquer avec lui plus aisément. J'essaie alors de ne pas commettre le même erreur que précédemment, l'élément me répondra de lui-même, je ne dois en aucun cas l'harceler de question.

Tout à coup, tout devint plus clair dans mon esprit. Je me sentis transporté hors de mon corps, comme ne faisant plus qu'un avec l'eau qui m'entourait, la communion avec mon élément semblant désormais totale. Beaucoup de chose s'entrechoquèrent dans mon esprit. Je compris de l'élément beaucoup de nouvelles choses. J'appris également que celui-ci reconnaissait désormais entièrement les nouveaux géants de l'eau ici présents. Je sentis aussi la satisfaction de celui-ci à la vue de l'avancement des travaux de reconstruction de la ville.

Lentement, la conscience de mon corps me revint à l'esprit. D'abord faiblement comme lors de la perte des sens puis de plus en plus rapidement pour finir par sentir le poids démesurés des tonnes d'eau qui me tombaient sur le dos. Néanmoins, la sensation de toute cette eau s'écroulant sur moi n'avait pas la même intensité que celle que j'avais ressenti en m'installant. Je me sentais plus fort mais surtout beaucoup plus confiant après ce que j'avais ressenti au contact de l'élément.

M'extrayant de la cascade, je me rendis compte que tous étaient prêts à rejoindre la cité et qu'il n'attendait que moi. J'avais passé beaucoup de temps sous l'eau et aux dires des plus expérimentés présents aujourd'hui une durée quasiment aussi longue que les gardiens élémentaires précédents. Pourtant, je n'eus l'impression d'être resté là-dessous que quelques minutes, une heure tout au plus au contact de l'eau.

Cela me réconforta encore. L'élément m'avait confié que nous n'oeuvrions pas en vain et qu'il me reconnaissait comme quelqu'un qu'il affectionnait. Des ce moment, je sentis le lien entre l'élément et moi se resserrer. Jusqu'à la fin j'y serai lié, rien ne changera jamais ça.

Me laissant sécher au vent, j'en profitais pour recueillir l'eau de la cascade avant de repartir. Au moment de reprendre le sentier en sens inverse, je me retournais une dernière fois vers la cascade et m'inclinait respectueusement devant elle.

Loin de chez lui, dans le nord du monde, loin de sa famille, seul, le géant Shimar ressentit plus que tout le besoin de se raprocher de son élément et il décida que le froid n'allait pas lui empêcher d'y parvenir en ce jour important.

Il marcha un bon moment dans la neige puis s'arrêta en bordure de la plaine, là où le glacier fondait peu à peu, laissant place à de minuscules ruisseaux d'eau d'une pureté irréprochable. Il ne s'agissait certe pas d'un endroit déterminé par l'Oracle, mais le géant de l'eau ne s'y laissa pas arrêter. Loin de tout, il savait improviser pour ce qu'il jugeait important voir vital tant au niveau physique que spirituel.

Il retira les raquettes qu'il avait aux pieds et les posa sur le sol gelé à ses côtés. Il s'agenouilla ensuite au bord du ruisseau et posa les deux mains, poings fermés, dans l'eau glacé.

Il ferma les yeux, voyant dans la morsure du froid une épreuve supplémentaire pour ses sens et sa volonté. Il se concentra, ignorant le bruit du vent, écoutant seulement l'écoulement du ruisseau, cherchant à plonger son esprit tout entier dans l'élément, se laissant porter par son courrant... Vers la plaine, vers les montagnes de l'Est, vers le Lac, vers les forêts et les marais, vers les remparts naturels de sa cité natale où vivait sa chère femme et le reste de sa famille.

Il lui sembla en cet instant être rataché à l'ensemble du monde grâce à ce seul ruisseau et à la comunion avec son élément, l'eau.

Le géant au grand coeur mais au caractère solitaire souria en pensant à ses proches, il désirait temps les revoir. Il était parti depuis plusieurs jours déjà et toujours rien en vue.

Il ignorait se qu'il cherchait, il marchait, tout simplement, mais espérait parvenir à trouver quelquechose, que son voyages ne soit pas vain. Peut-être l'élément pouvait-il lui apporter une réponse, éclairer sa voie, chasser ses doutes, c'est ce qu'il espèra.

Toujours concentré, ses poings presque totalement engourdis par le froid mordant du cours d'eau, Shimar interrogea interieurement son élément.

Il lui demanda d'éclairer son chemin, de guider ses pas, la route qu'il avait choisi était-elle la bonne?

Il releva les mains et laissa tomber quelques goûtes sur son visage, provoquant un frisson de froid qui lui parcourru l'échine. Il replongea ensuite ses mains dans le ruisseau et répèta l'opération à quelques reprises avant de s'arrêter, les mains à nouveau en contact avec l'eau glacé.

Il attendit et, comme on lui avait apprit, il n'insista pas sur la question posée.

Quelques minutes passèrent... des minutes ou des heures? Il l'ignorait. Le temps même semblait s'être arrêter. Le ruisseau seul poursuivait son cours, comme s'il était l'unique signe de vie de la planète en cet instant même.

Le géant ouvrit les yeux brusquement, tout semblait s'être éclairé. Le ruisseau, il devait suivre le ruisseau, il le sentait. Était-ce la réponse qu'il attendait? Il en était persuadé.

Il remercia intérieurement son élément, se releva et pris une profonde inspiration, ses doutes avaient disparus. Il se sentit remplie d'une nouvelle volonté et d'une paix intérieur encore plus profonde que ce qu'il avait l'habitude de connaître au milieu de la nature.

Il récupéra ses raquettes, les gardant en main pour avancer dans la plaine puis se remis en route. Suivant le petit cours d'eau. Guidé par son élément. Il sifflota un aire invitant et entendit bientôt les oiseaux des champs lui répondre...

Columbus avait suivi son maîter le géant Hrimthurs jusqu'à l'endroit déterminé par l'oracle.

Emerveillé par cette étonnante fusion entre nature et la puissance de l'eau le jeune géant resta en totale inertie pendant environ une semaine.

Incapable de bouger le moindre de ses membres il resta là seul avec ses peurs, ses doutes et sa joie de se trouver ici en compagnie des plus magnifiques guerriers que la race géante n'ait jamais porté.

Et puis un souffle divin descendit sur ses épaules. Ce souffle froid, glacial le conduit sous cette cascade, cette eau pure et si belle, d'une telle pureté que l'on pouvait se regarder dedans et en même temps n'apercevoir le fond de cette abysse.

Le jeune géant s'avança sous la cascade et toute eau pénétra en lui comme un bloc de glace. Il se sentit soulever dans les airs, transporté vers une toute autre dimension.

Et puis ce fut le révélation: la réponse à ses questions, la solution des problèmes était là, il le sentait au plus profond de lui-même.

Lorsqu'il sortit de sa léthargie il faisait nuit et il n'aperçu rien d'autre que le chant d'une chouette.

Heureux le jeune génat reprit son arc et repartit guidé par le son dec ette cascade envoutante.