Legends of Olympia : La Ballade des Mémoires - Philosophie d'un autre monde
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Philosophie d'un autre monde
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Dernière réponse le 04/03/2012 à 04:30

elfe Par Ambre  le 24/03/2011 à 09:39

Vous m'entendez ?
Non, je dis, vous m'entendez ? Bien.

Inutile de chercher, vous ne me connaissez pas. Je ne suis pas ce que vous croyez.
Bien sûr, vous me voyez comme cela. Fragile. Faible. Presque bête.
Tout ceci n'est qu'illusions. Faux-semblant. Apparences trompeuses.
Oh mais je ne cherche pas à vous tromper. Vous vous trompez vous-même. Vous n'avez pas besoin de moi pour ça. Ne vous en prenez pas à moi. À vrai dire, ce n'est pas ma faute si vous me voyez comme ça. Ce n'est même pas la sienne … C'est juste vous. Vous et vos critères. Votre vision bornée où chacun doit entrer dans une case. Où chacun a des limites, un périmètre bien défini et une zone d'action non extensible.
Et dire que vous m'avez sous les yeux tous les jours, à longueur de journée. Vous me voyez, c'est inévitable. Je ne vous apprends rien. J'attire les regards, même les vôtres. Des regards le plus souvent vides.

On forme un couple pas banal, il faut dire. Deux êtres que tout oppose. Aucun point commun, visiblement. Vous n'y auriez jamais cru si on vous l'avait dit. Il aurait fallu que vous le voyiez de vous même. Une jeune fille et son compagnon. Elle, si radieuse, parfois naïve, souvent influençable. Lui, sombre, presque caché. Elle est exubérante, colorée. Il est introverti, renfermé. Une puissance cachée et une force affichée. Au fond, lequel des deux vous inquiète le plus ? Elle ? Ou lui ?
Non, ne répondez-pas. Ce questionnement n'attend pas de réponse. Ce n'est que de la rhétorique. Pure et simple rhétorique. Elle vous invite simplement à vous poser vous-même ces questions. Ce qui compte n'est pas la réponse, mais le cheminement pour la trouver.
Est-ce ma faute s'il a fallu qu'on se rencontre ? Est-ce la sienne ? Ou bien est-ce que des forces dépassant l'entendement et la portée commune nous auraient rassemblés quoiqu'il arrive ? Si c'était le cas, nous trouveriez-vous plus inquiétants encore ? Tellement opposables et si proches à la fois, ça ne vous fait pas un peu peur ? C'est le genre de choses qui échappe lentement à votre contrôle, vous le savez, et c'est ce qui vous met en rogne, n'est-ce pas ?

Je crois qu'aujourd'hui, nous sommes amis. On se comprend sans mot dire. On s'écoute en silence. Ses forces remplacent mes faiblesses. Sa présence renforce la mienne. Ses mots complètent mes pensées et c'est ensemble que nous faisons face. Nous avons tous les deux vécus des choses atroces. Jugées insurmontables quelques fois. Nous sommes tout, l'un pour l'autre. Nous représentons l'espoir d'un avenir meilleur, plus serein.
Mais vous, vous êtes là. Juste là. Rien d'autre. Vous regardez. Vous observez ce couple mal formé. Je n'ai pas encore à subir vos jugements, tout au plus quelques regards biaisés, mais je sais qu'un jour vous y viendrez. Un jour, vous oserez braver votre censure et votre bon-sens. Ce jour-là ne sera pas un bon jour. Vous mettrez en doute nos convictions les plus intimes, nous demandant de justifier l'injustifiable. Et sans le savoir, vous causerez ma perte.

Alors je disparaîtrai, une nouvelle fois. On ne me verra plus. Je serai ailleurs, et c'est tout ce que vous vous direz, vous cachant derrière des phrases toutes faites. N'ayez pas honte de vous. Ni de moi. Ainsi va ma vie. J'apparais et disparais au gré des envies d'un autre. J'ai déjà vécu ça. Deux fois. Mais ça, vous le savez. Je pars et ne reviens que lorsqu'il le faut. Lorsque c'est à nouveau mon tour.
Cette fois, je ne souhaite pas que mon tour se termine. Je veux continuer. J'ai trouvé ce qu'il me fallait ici. Vous comprenez ?

Cela vous surprend ? C'est pourtant ce que je vous disais. Vous ne me connaissez pas. Vous ne connaissez même pas mon nom. J'en ai pourtant un. Je crois. Autrefois, on m'appelait Erfandal. Vous vous rappelez ? Non ?
Vous y viendrez.

- Allez, viens, Le Chien, on y va !

Je vous ai dit qu'il fallait que j'y aille ? Ou plutôt, qu' « on » s'en aille ? Ne vous en faîtes pas, je reviendrai. Tout ceci n'est que le début. Ce n'est pour l'instant qu'un mauvais moment à passer, qui deviendra tout au plus un mauvais souvenir.

- Ah, tu es là. Tu sais, je me disais, je suis vraiment contente que tu sois là, avec moi. Tu te souviens comment on s'est rencontrés ? J'étais avec Syi je crois. Et Eladar aussi. C'était une belle journée, on s'était bien amusés ! C'était il y a si longtemps déjà …

- Tu te souviens de Az ? Mais siii, rappelle toi ! C'était une sorte d'esprit je crois. Enfin, c'est ce que disais Syi. Elle disait que c'était comme un gardien pour elle. Qu'il la protégeait. J'y crois pas, moi, aux gardiens, aux esprits, tout ça. À mon avis, elle m'a dit ça pour faire son intéressante. Elle devait être jalouse que je t'aie toi, et qu'elle, elle n'ait pas de chien. Du coup, elle est avec son lapin maintenant. Nan mais quelle copieuse, t'as vu ?

- Je devrais peut-être pas dire ça quand même, elle est Juge maintenant. Bah, tu répèteras pas que je t'ai dit ça, hein ?

- C'est bien Le Chien. Ah oui, et donc Az, il a disparu ! En tout cas, ça fait longtemps qu'on l'a pas vu. Comme par hasard, c'était juste après qu'Aileen et elle adoptent Lapinou. J'pense que quelqu'un veut faire porter le chapeau à Lapinou. Ça peut pas être lui ! Et puis, entre nous, si c'était vraiment un Esprit gardien, tu crois qu'un si petit lapin aurait pu se débarrasser de lui ?! Pff. Des fois, je me demande où les gens vont trouver des bêtises pareilles !

- Mais toi, tu disparais pas, hein ? Tu resteras toujours avec moi. Si tu disparais, je disparais avec toi.



elfe Par Syi Az’lissüe  le 24/03/2011 à 10:33

J'aime beaucoup la différence entre la dureté du Chien et l'attachement d'Ambre.
"Si tu disparais, je disparais avec toi."

En tout cas, sans vouloir faire mon intéressante, j'aime beaucoup.



elfe Par Ambre  le 18/07/2011 à 11:45

Ah, c'est encore vous ?

Je ne vous attendais pas si vite. Non, vous ne me dérangez pas, non. Qu'y a-t-il ? Vous paraissez tendu ... Je ... J'y crois pas, vous vous faîtes du souci pour moi ? C'est la meilleure. Si l'on m'avait dit ça un jour, jamais je ne l'aurais cru. Et pourtant, vous êtes là, anxieux. Et pas pour les mêmes raisons que la dernière fois. Attendez ... Serait-ce un semblant de peine que je ressens dans votre respiration ? Lente, contrôlée, presque étouffée pour rester silencieuse.

Vous êtes triste pour moi, ou pour elle ? Vous ne savez pas ? Ce n'est pourtant pas bien difficile. Regardez. Vous imaginez-vous plus facilement dans le rôle de celui qui reste ou dans le rôle de celui qui part ? Car tout est là. Partir le premier ou survivre aux siens. On ne m'a pas laissé le choix. C'est mieux ainsi. Si le choix m'avait été donné, jamais je n'aurais accepté de faire souffrir ceux que j'aimais et qui m'aimaient tout autant. Oui, vous savez exactement de quoi je parle. Mais dans la vie, même la mienne, on fait rarement ce que l'on voudrait faire. Bien souvent, cela se résume à choisir entre les maux possibles le moindre. Dans mon cas, c'est même pire que ça.

Mon discours vous vexe. Je le sais. Vous auriez préféré que je vive naïvement, ainsi que les autres comme moi. Je ne m'excuserai pas. Mais revenons sur les événements qui font que vous êtes là avec moi. C'est à cause d'elle, n'est-ce-pas ? Vous attendiez nos retrouvailles, vous délectant par avance du mets succulent que nous vous aurions proposé. Alors que certains espionnent les plus grands aventuriers en quête d'adrénaline, que d'autres préfèrent l'intimité et la passion des amours inavouables, voici que vous vous intéressez à des sentiments bien plus étranges et inexplicables. Vous remontez presque dans mon estime. Presque, car il ne s'agit en aucun cas d'une quelconque forme d'empathie. Ce n'est que du voyeurisme, rien de plus. Une fenêtre ouverte sur votre monde, avec la possibilité de critiquer et de juger, bien sagement chez vous, vivant votre propre vie par procuration.

Le temps nous est compté, vous le savez bien. Voilà déjà un moment qu'elle est partie. Et là où elle est, il m'est impossible de la retrouver seul. Et j'imagine que vous ne prévoyez pas de me fournir votre aide, n'est-ce-pas ? C'est bien ce que je pensais. Vous n'êtes qu'un spectateur, je sais. Ce n'est pas la peine de me réciter votre couplet habituel. Je sais bien que vous le connaissez du bout des doigts. Je commence à le connaître moi aussi. Si cela peut vous rassurer, je n'ai pas souffert. Il y a bien eu cette déchirure sans fin, ce cri du plus profond de mon être et cette douleur absolue suivie de ce vide angoissant. Mais ce n'est rien que je ne puisse endurer. J'ai été formé à bonne école, grâce à vous et aux autres. Et puis, si vous voulez mon avis, je préfère que ce soit dans ce sens. Je connais mes limites. Je sais que je ne suis pas près de les atteindre. Pas tout de suite.

Notre entretien est maintenant terminé. Ce ne fût pas un plaisir. Et bien que j'aurais souhaité que ce soit autrement, nous nous recontacterons. Nous n'en avons pas fini, l'un avec l'autre.

Vous vous demandez où je vais ? Allons faîtes un effort. Je n'ai pas d'option. J'ai un seul chemin à suivre. C'est elle qui me retrouvera, le temps venu. Si elle le souhaite.


- Pourquoi t'es pas là, Le Chien ?

- Il fait noir, j'ai peur ... J'ai froid.

- Viens ... me chercher ...

- ... ?

- Le Chien ?!!

- C'est pas drôle ... J'ai besoin ... de toi ...

- Il a disparu ... ? Tu m'avais promis ! Tu m'avais dit que tu m'abandonnerais jamais !

- Et moi, je suis où ?



elfe Par Ambre  le 27/08/2011 à 16:43

- Le Chien ?!!!!

Toujours pas de nouvelles. Combien de temps ça fait maintenant … une saison et demie ? Deux ? Même le cours du temps semble différent depuis qu'il n'est plus là. Il avait pourtant promis qu'il ne me laisserait jamais toute seule. Je lui avais fait confiance. Pfff … Alors tu m'as laissée tomber ?

- Madame, avez-vous vu Le Chien ?

Pas de réponse. Elle ne regarde même pas mon dessin de lui.

- Monsieur, j'ai perdu Le Chien, vous l'avez vu ?

Lui non plus ne me répond pas. Il m'a regardée de haut, a haussé un sourcil et a poursuivi sa route. En ville, les gens n'ont le temps de rien. Même pas de s'entraider. Je leur demande juste un renseignement, ils en ont pour une minute. Je m'arrête. J'imagine, vue de haut, à quoi ressemble Na'helli. Une vaste fourmilière, rien de plus. Des petits points noirs qui courent dans tous les sens, chacun est désorganisé mais l'ensemble suit des règles strictes. Et moi, au milieu de cette masse, qui suis-je ? Le seul petit point noir immobile. À la recherche d'un autre petit point noir. Quand je l'aurai retrouvé, je reprendrai moi aussi ma route. Je participerai à nouveau à cette danse stupide. Mais pas avant. Je refuse.

Voilà deux heures que je subis le dénigrement des autres. Personne ne se soucie de moi et Du Chien, à part Syi que j'ai croisée. Elle m'a dit que Le Chien était peut-être avec Lapinou, mais quand je suis allée voir, Lapinou était tout seul. Si personne ne peut m'aider en ville, je ferais mieux de sortir. Peut-être qu'il est allé dans la forêt, après tout … Ou peut-être qu'il y est passé pour aller ailleurs. Je suis convaincue. Je placarde quelques unes de mes affiches dans les rues et sur les devantures d'un ou deux commerces et je sors. Il n'y a pas de continuité entre Na'helli et la Forêt des Cendres. On passe instantanément de la ville à la nature, comme si les portes de la cité menaient à un autre monde. Les architectes auraient pu penser à quelque chose de plus progressif, ou en tout cas moins brutal. Il y a bien tous ces arbres qui ornent Na'helli, mais ça n'a rien à voir avec la forêt. Mais je crois que les gens y sont pour beaucoup dans cette démarcation. Dehors, tout est plus calme et serein. Pas d'agitation démesurée, pas de tension ni de crispation. Les Elfes qu'on rencontre dans la forêt ne sont pas plus sages, mais plus posés. Comme si la forêt était un immense lieu de recueillement. Du moins, c'est la sensation que j'ai.

Je trouve vite d'autres Elfes à qui demander s'ils ont aperçu Le Chien. J'arrive parfois à capter un regard, deux secondes fugaces avant que la tête de mon interlocuteur oscille de droite à gauche. On est encore loin de l'aide précieuse et de l'implication des autres, mais c'est toujours ça.

- Regardez ce dessin, Monsieur, c'est Le Chien, je l'ai perdu, vous savez où il est ?
- Navré, jeune fille, je ne sais pas où il est, ton chien.
- C'est pas mon chien ! C'est Le Chien !

Mais l'Elfe est déjà parti. Il ne m'entendra pas pester contre lui. Un peu plus loin, immobile, se tient un autre Elfe. Je m'approche de lui, je dois demander à un maximum de personnes. Je le reconnais, c'est Calith. Je ne le connais pas bien, je sais juste qu'il est une sorte de responsable, mais je ne sais plus trop de quoi.

- Euh, pardon, vous auriez pas vu Le Chien ?

Je lui montre le dessin, à lui aussi.

- Ça, c'est Le Chien ? C'est son nom ?
- Oui. C'est moi qui l'ai appelé comme ça ! Y a rien de mieux pour un chien, pas vrai ?

Calith ne répond plus. Il me regarde rapidement et soupire, désespéré. Après un silence, voyant que je suis toujours là, il reprend.

- Non, je ne l'ai pas vu, ton cabot.
- C'est pas le mien, c'est le chien de personne.

Je ne suis même pas sûre qu'il ait entendu ma dernière phrase. Je repars. Je finirai bien par trouver quelqu'un qui l'a vu ! Lui, là-bas.

- Et vous monsieur ? Vous ne l'avez pas vu, Le Chien ?

D'abord impassible, l'homme détourne enfin son regard pour le plonger dans le mien. Devant mon insistance, il regarde derrière lui, puis se tourne à nouveau vers moi. Je ne le lâche pas des yeux.

- Alors, vous l'avez vu ou pas ?

L'homme reste interdit. Il commence à décrire un cercle autour de moi. Mon regard le suit.

- Tu veux pas répondre ?

Il secoue vivement la tête, comme pour chasser une mauvaise idée.

- Mais … vous me voyez ?
- Ah bah … oui, je te vois. Ça va pas ?
- Je ne comprends pas …
- Tu veux pas me dire si tu as vu Le Chien ?
- Voilà qui est étonnant … mais alors …
- Il ressemble à ça, à peu près !
- Est-il possible que …
- J'dessine pas très bien, mais on le reconnaît.
- Serait-ce …

Sans finir sa phrase, l'étrange homme se retourne et part dans la direction opposée.

- Hé ! Tu m'as même pas répondu !

Son comportement m'a tellement surprise que je n'ai même pas pensé à le suivre. Il disparaît de ma vue au détour d'un chêne.
Même en forêt, on peut croiser des phénomènes …



Vous allez me laisser sortir, oui ? Vous m'entendez ?
Qu'est-ce que je fais là, d'abord ? Et puis, c'est où, là ? Hé ! Je vous parle ! Vous pourriez répondre, ou du moins faire semblant de vous intéresser à moi ! Il est là, il fait ses petites affaires, imperturbable … nan mais vous vous rendez compte que vous m'avez enfermé ? Et la cage est pas bien grande, vous auriez pu prévoir plus large ! Allez, laissez tomber vos petits jouets, là, ils vont pas mourir. Moi en revanche, c'est pas dit.
Ah, tu te lèves enfin. C'est pas trop tôt. Attends mais … Hé ! Hé ! Mais t'en vas pas ! Tu vas pas me laisser tout seul ici ?!

Pfff, bah c'est ça ! Tire-toi !
Bon, comment je peux sortir de là, moi …

- Bonjour.
- Qui est là ?!
- Allons, vous ne le savez pas ? Faîtes un effort. Ma voix, mon aura, elle ne vous dit vraiment rien ?
- J'aurais du m'en douter …
- Vous auriez du, oui.
- Que voulez-vous ? Où on est ?
- On va jouer à un jeu. Vous répondez à l'une de mes questions, et vous aurez le droit d'en poser une à votre tour. On fait ça jusqu'à ce que l'un des deux veuille arrêter.
- Très bien, je vous écoute.
- Pourquoi elle ?
- Elle, vous voulez dire Ambre ?
- Tout juste.
- Pourquoi je l'ai choisie … je me suis souvent posé cette question. Rares sont les esprits qui ont mon histoire. Mon choix est donc forcément différent de celui des autres esprits. Au fond, je crois que je cherche à réparer mes fautes passées.
- Quelles fautes passées ?
- C'est une autre question. C'est d'abord à votre tour de répondre. Où sommes-nous ?
- Dans un lieu que j'ai créé spécialement pour vous. Une partie de ma conscience qui vous est entièrement consacrée. J'ai emprisonné votre essence dans un cocon qui ne va qu'à vous. La cage, la pièce, l'homme tout à l'heure, tout ça vous est d'une manière ou d'une autre associé. Moi seul peux vous faire sortir. Maintenant, répondez à ma question. Quelles fautes passées ?
- Je pense que j'essaie de reproduire un schéma, de reconstituer un ensemble de scènes dans l'espoir de modifier la fin. Je n'ai pas été capable de sauver Ljana. Je dois pouvoir sauver Ambre. Mais pour que le test soit valable, le danger doit être le même.
- Vous êtes prêt à mettre Ambre en danger pour votre orgueil ? Ah, j'oubliais. Je dois d'abord répondre à une question.
- Pourquoi m'avez vous enfermé ?
- Pour vous prouver que je ne suis pas qu'un spectateur. Que lorsqu'il le faut, j'agis. J'estime que vous constituez un risque pour les autres. Alors je vous ai « retiré ».
- Alors c'est comme ça que vous dites, j'ai été retiré. Après tout, il faut bien dénommer les moindres choses, y compris celles qui sont inadmissibles. Je ne mets pas Ambre en danger. Je suis chaque fois avec elle. Il n'y a aucune situation que je produise qui échappe à ma vigilance. J'ai déjà reconstitué le lien qu'il y avait entre Ljana et moi. Je touche presque mon but.
- Et si vous échouez, qu'adviendra-t-il d'elle ? Elle finira comme Ljana, je présume.
- Je n'échouerai pas.
- Puis-je vous poser une autre question ? Pourquoi Ambre vous voit elle comme un chien ?
- Ça, cher monsieur … ça …

Il faudra le lui demander.



elfe Par Ambre  le 19/09/2011 à 14:02

Le Chien n'est toujours pas revenu. Il sait pourtant parfaitement où on habite maintenant. Je suis dépitée, je ne sais plus quoi faire. Avant, quand il s'absentait quelque temps, il revenait toujours assez vite, avant que je ne m'inquiète. C'est la première fois qu'il part si longtemps. Il ne m'a même pas dit où il allait, ni même pourquoi faire. J'imagine que je n'ai plus qu'à attendre, encore. Il finira par revenir, non ?
J'ai pourtant bien essayé de suivre ses traces, de refaire le chemin qu'il avait fait. J'avais pensé que, comme ça, j'aurais des indices sur l'endroit où il a pu se rendre. Je suis assez forte à ce jeu là, normalement. Ça m'a déjà servi par le passé. Plus jeune, je suivais à la trace les livreurs de fruits. À force, je savais exactement par où ils passaient, où et quand ils s'arrêtaient et pendant combien de temps. Je n'avais plus qu'à me servir en vitesse dans le chargement avant qu'ils ne reviennent pour finir leur livraison. C'était mon ancienne vie.
Je ne crois pas avoir perdu ce talent. Je crois juste que Le Chien a … disparu. Sans laisser aucune trace que j'aurais pu suivre. Je me résigne.

La vie doit continuer, n'est-ce pas ? C'est ce qu'aurait fini par déduire quelqu'un de sage. La plupart des Nobles que je connais auraient fini par réagir comme ça. Après avoir imaginé l'inimaginable, tenté l'impossible, ils seraient rentrés et auraient continué leur vie. Je vais faire pareil. Syi dit que moi aussi je suis une Noble. Mais c'est bizarre, parce qu'en général, ils ont un nom de famille, des maisons, des serviteurs, des gens bien intentionnés. Sauf la Reine, elle n'a pas de nom de famille. Quelqu'un m'avait expliqué pourquoi, mais j'ai oublié. Moi, je n'ai rien de tout ça. C'est juste moi. Je n'ai même pas de richesses. La seule chose un peu précieuse que j'ai, c'est mon collier. Mais je ne suis même pas sûre qu'il vaille cher. Parfois, des gens me demandent d'où il vient. Ils doivent trouver ça étrange que je m'y attache autant. Je ne sais même pas pourquoi je le garde. Dans mes souvenirs, je l'ai toujours eu, c'est tout.

Faceo vient vers moi. Faceo, c'est le seul Elfe des Lunes qui fait partie de la Tour de Jade. Ce n'est pas parce qu'on ne veut pas que les autres viennent, je crois simplement que Faceo est l'un des seuls à avoir accepté de vivre en tant que Forestier. Je l'admire pour ça. De ce que j'ai cru comprendre, les Elfes des Lunes sont organisés en Clans, avec une hiérarchie très stricte et très complète. Je ne sais pas par quelles étapes il est passé pour pouvoir nous rejoindre, mais ça n'a pas du être simple. Il a du être confronté à des choix terribles. Le Clan auquel il appartenait n'a pas l'air de m'en vouloir pour ça, mais je ne sais pas quelles pressions subit Faceo.

- C'est bon, Ambre, j'ai réussi à obtenir le titre de propriété de la Taverne des Sables !

Je reste pensive quelques secondes. Il ajoute

- Tu sais, l'établissement que Bleu mettait à vendre, dans le désert près des ruines de Sigdil.
- Ah, oui, Amallya aussi était intéressée. Elle ne t'a pas posé de problèmes ?
- J'ai fait l'offre la plus élevée, voilà tout. Bleu doit être ravi d'avoir obtenu un tel montant. Mais la Tour marche bien, et avec la taverne en plus, on va pouvoir encore s'étendre.
- Oui, c'est une bonne affaire. Euh, tu veux aller voir dès maintenant l'état de la taverne ?
- C'est un peu loin d'ici, sans compter que c'est en plein milieu du désert … mais c'est d'accord. Je préviens Bleu.

Quelques formalités à régler et on part. Faceo a raison, c'est un peu loin, mais j'ai hâte de découvrir l'intérieur de la taverne, pour penser aux aménagements qu'on va pouvoir y faire. Faceo, lui, a l'air plus intéressé encore par le contenu des caves et les stocks que Bleu laissait à disposition. On a aussi du personnel, normalement.

- Tu crois qu'on aura beaucoup de clients ?
- J'y suis déjà allé quelques fois, ça marchait plutôt bien. Le coin n'est pas très touristique, par contre, alors c'était souvent des amis de Bleu et du reste du personnel tenancier.

Je hoche la tête pour inciter Faceo à continuer.

- À côté de la taverne, à part les vieilles ruines de Sigdil et les tempêtes de sable, il n'y a pas grand chose à faire. Sinon, faut partir pour la journée, et les gens n'ont pas envie de ça.
- Ils voudraient quoi ?
- Ba, je sais pas, quelque chose plus … touristique ! Un truc un peu guidé, sympa à voir. Où ils auraient le sentiment d'apprendre des choses, ou de bien s'amuser !
- Je vais réfléchir à ça.

Je note dans un coin de ma tête tout ce que m'a dit Faceo. Jamais je n'aurais pensé qu'un jour, je devrais réfléchir au développement touristique d'un désert !


Il est déjà tard quand on arrive en vue de la Taverne des Sables. Mais entre monter un campement dans le désert et forcer un peu pour arriver à la taverne, même de nuit, le choix est vite fait. En plus, la taverne n'est pas fermée depuis longtemps. Elle tournait encore juste avant la vente. Donc on n'aura pas de mal à trouver de quoi dîner et dormir. Le calcul du temps restant pour atteindre l'établissement était presque correct. On arrive un peu plus tard que prévu. La nuit est bien avancée. Faceo tourne la clé dans la serrure et nous entrons enfin. Faceo, en nouveau propriétaire, me guide jusqu'à l'étage malgré l'obscurité et nous trouve deux chambres. On mange rapidement un morceau de viande séchée avant de nous écrouler dans nos lits.

Au petit matin, persuadée de me réveiller avant Faceo, je descends sans faire un bruit, observant méticuleusement chaque centimètre carré du bâtiment. Je ne suis jamais venue ici avant, mais je ne regrette pas l'achat !

- Bonjour Ambre ! Bien dormi ?
- Euh, oui, merci. Tu es déjà levé toi ?
- Oui, j'avais hâte de commencer la journée ! Je t'ai préparé un repas, tu m'excuseras, j'ai fait avec ce qu'il y avait.

Tout en mangeant, Faceo me fait une visite fixe. C'est comme une visite guidée, sauf qu'on reste assis là où on est. Il me montre la salle principale où les clients arrivent, le comptoir, l'entrée de l'arrière-cuisine, l'escalier pour les chambres à l'étage et, d'après lui, le plus important, la trappe pour descendre à la cave.

- C'est quoi le plan de la journée ?
- Si ça ne te dérange pas, j'aimerais que tu fasses l'inventaire complet de ce qu'il y a ici. Pas que les stocks de nourriture et de boissons, il faut aussi compter les meubles, les chaises, les lits …
- Euh, et si ça me dérange ?
- Tu peux demander de l'aide aux membres de la Tour ! Tu as même l'autorisation de les diriger une fois ici. Après tout, c'est un peu ta taverne. Quand ce sera fait, on fera le ménage, et on réorganisera le tout. Il ne faut pas que les futurs clients viennent ici comme ils venaient avant chez Bleu. On doit changer l'apparence et l'atmosphère.

La nuit a été prolifique. Des tonnes d'idée viennent à moi. Sur l'agencement, les couleurs, les menus. Mais Faceo a bien insisté sur une chose, hier. Il a dit que les clients viendraient plus nombreux s'il y avait quelque chose à faire dans les parages.

- Et toi, tu vas faire quoi ?
- Je vais aller faire un tour dehors. Voir ce que j'y trouve. Je pense aller jusqu'aux ruines de Sigdil.

Sigdil, c'est au sud-ouest. Dans la forêt, il y a de nombreux indices qui permettent de se guider. L'orientation de certaines fleurs. La pousse de certains végétaux. Ici, en plein milieu de nulle part, c'est du sable et encore du sable. Et j'ai beau regarder attentivement, je ne vois pas de différence entre le sable à ma gauche et celui à ma droite. Je n'ai que les soleils pour m'aider à m'orienter. Mais je ne vais pas aller tout de suite aux ruines. Je dois d'abord connaître les lieux. Je pars dans une direction, au hasard, et file tout droit. Quand j'en ai assez, je reviens sur mes pas. Comme ça, pendant plusieurs heures, je marche. Mon dernier choix m'a emmenée loin à l'ouest. Enfin, je crois que c'était l'ouest, vus où étaient les soleils. Pourtant, ça fait maintenant plus d'une heure que je marche vers l'est, toujours d'après mes quelques repères, et je ne retrouve pas la taverne. En fait, je ne retrouve plus rien. Le paysage est définitivement plat. Les quelques dunes qu'il y avait ici et là ont disparu. Le vent s'est levé, projetant du sable sur mes traces de pas, les recouvrant aussitôt. Je m'arrête pour faire un point. Une silhouette se dessine progressivement. D'abord floue, elle gagne en netteté en s'approchant de moi. Je vais dans sa direction.

- Qu'est-ce que tu fais par ici ?

C'est un jeune Elfe. Un peu plus jeune que moi.

- Je crois que je me suis perdue.
- On se perd vite dans le désert. Il faut être prudent !
- Tu ne te perds pas, toi ?
Tu cherches quelqu'un ?

Il n'a pas du entendre ma question.

- Non, je me promenais.
- Tu te promènes dans le désert ? T'es sûre que ça va ?
- Oui. Comment tu t'appelles ?
- Erfandal. Toi c'est Ambre, c'est ça ?

Je ne prête pas attention au fait qu'il sache mon nom. C'est le sien, il me perturbe. J'ai déjà entendu ça. Je ne sais pas pourquoi, mais ce nom m'évoque quelque chose. Quelque chose de … fort. Enfoui tout au fond de moi. Un endroit que je ne connaissais même pas. Je murmure le nom dans ma tête. Il résonne. Ma tête tourne. J'ai l'impression qu'elle va éclater. Je me bats avec moi-même pour rester maître de moi, mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Quelque chose monte en moi. Quelque chose d'étranger mais parfaitement familier à la fois. Qu'est-ce qu'il m'arrive ?! Mon front me brûle, j'ai le souffle court, je transpire. Je ne regarde même plus devant moi, mes yeux se sont fermés tout seuls. Je suis pliée en deux, les mains sur mes côtes. Mon cou aussi se met à me brûler, mais je ne parviens pas à bouger mes bras. Je suis tétanisée. Je me concentre uniquement sur moi.
Je pense à mes amis. Oh comme ils me manquent. Plus encore en ce moment. J'aimerais qu'ils soient là, qu'ils m'aident, qu'ils me soutiennent. Mais je suis toute seule. Je souffre le martyr. Je vais mourir ici, toute seule.

Je pense Au Chien ...




Ces barreaux, ça me rend fou. Si j'arrive pas à sortir d'ici, je vais devenir cinglé. Enfermé par eux, en plus. Qu'est-ce qu'il a dit déjà, que c'était un endroit conçu spécialement pour moi ? Que tout ce qu'il y avait ici était d'une façon ou d'une autre lié à moi ? Que j'étais un danger pour les autres ? Pff, des conneries. Les autres esprits sont trop sages pour ça. Jamais ils ne chercheront à comprendre. Ça ne les intéresse pas, même, ça les dépasse. Rah, faîtes-moi sortir de là !!

- Du calme, du calme. Ça ne sert à rien de vous agiter. Ce ne sont pas de simples barreaux, vous vous en doutez bien. Je prends le maximum de précautions avec vous. On ne sait jamais.
- Vous faîtes bien. Si un jour j'arrive à sortir d'ici, il vaudrait mieux pour vous qu'on ne se recroise pas.
- Des menaces ? Vous voyez bien que vous êtes instables. Non, décidément, je ne peux pas courir ce risque. Vous resterez ici. Au moins jusqu'à ce que j'en apprenne plus.
- Et en apprendre plus sur quoi, on peut savoir ?
- Oh, allons, faîtes un effort, on en a déjà parlé.
- Ah mais ça vous obsède carrément en fait ! Vous n'avez pas encore lâché l'affaire ?
- Je n'ai pas pour habitude de renoncer face à quelque chose que je ne comprends pas.
- Mais il n'y a rien à comprendre, laissez-moi faire ce que j'ai à faire.
- Justement, non. Vous ne faîtes pas ce que vous voulez. Dans la mesure où elle est en danger à cause de vous, il est de mon devoir de vous surveiller.
- Combien de fois dois-je vous le répéter, elle n'est pas en danger tant que je suis avec elle. Ah là, par contre, c'est sûr, s'il lui arrive quelque chose et que je suis bloqué ici, vous allez avoir des problèmes !
- Ce qui me tracasse le plus, au fond, c'est la manière dont elle vous voit. C'est quand même unique. Jamais je n'ai vu ce phénomène se produire.
- Et alors quoi ? Vous êtes allés lui demander ? Je vois bien que vous cherchez, mais désolé, je n'en sais pas plus que vous à ce sujet. Après tout, c'est vous qui nous surveillez depuis toujours. C'est quand même dingue que ça vous ait échappé !
- Oui, je vous accorde ce point. Ce détail m'a échappé. Et pour vous répondre complètement, non, je ne lui ai pas encore demandé.
- Pas encore ? Comment ça, pas encore ?!
- Mais j'ai déjà appris autre chose. Je sais pourquoi vous l'avez choisie elle !

Est-ce que moi je le sais ?




L'Elfe a disparu. Le vent est retombé. Je me lève avec peine. Je reconnais aussitôt les lieux. En moins d'une demie-heure, je suis de retour à la taverne. Je ne croise pas Faceo, je monte directement dans ma chambre. Je passe devant une commode pour aller me coucher, mais une chose m'interpelle. Dans le miroir, celle que je vois n'est plus tout à fait moi. Les pointes de mes cheveux se sont teintes d'ambre, alors qu'un halo blanc cercle mes pupilles.



elfe Par Ambre  le 03/11/2011 à 13:08

- Vous mentez, vous ne savez rien !
- Ah oui ? Vous voulez voir ce que j'ai vu ?
- Faites donc si ça vous chante, ça ne changera rien à mes convictions !

Ljana était là. Arborant fièrement ses longs cheveux. Elle faisait évidemment partie intégrante de la bourgeoisie Na'hellienne. Ah, comme elle était belle. Nul ne pouvait alors la regarder dans les yeux sans rougir instantanément. Son regard vous transperçait et vous laissait inerte. Elle était forte aussi. Très puissante même. À l'époque, et malgré son âge, elle était très crainte. C'était une combinaison mortelle. Jeune, douce, belle, et terriblement dangereuse. Mais sa vie lui semblait particulièrement
vide. Bien sûr, ses deux parents s'occupaient bien d'elle. Ils se souciaient d'elle, tant que cela touchait à la réputation ou la renommée de la famille. Ils étaient les parents les plus merveilleux qu'une jeune femme pouvait rêver d'avoir, à condition que d'autres la regardent. Dès le soir venu, quand ils étaient sûrs d'être seuls, ils n'avaient plus le moindre soupçon d'intérêt à lui porter. Malgré tout cela, Ljana leur vouait un véritable culte. Ils incarnaient, à ses yeux, le modèle même de vie qu'elle désirait avoir. Ils avaient réussi là où elle ne faisait que caresser le rêve. Ils avaient atteint des sommets en partant de rien, avaient fondé cette famille d'où elle était issue. Elle qui naissait si privilégiée … la barre était naturellement bien plus haute. Mais tels étaient les objectifs qu'elle s'était fixés.

Pour l'accompagner, elle avait à ses côtés, et en permanence, un maître-lame, prénommé Erfandal. Il était le plus doué de tous, maniant ses deux épées avec une habileté et une grâce déconcertante. Erfandal était un esprit de la forêt, qui avait juré fidélité et bienveillance à Ljana. Ce jour là, les parents de Ljana avaient été plus que surpris. Il fallait bien l'admettre, même eux n'avaient jamais réussi à s'associer les loyaux services d'un esprit de la forêt. Leur jeune fille était exceptionnelle, ils pouvaient en être fiers ! Avec le temps et la présence de Ljana, Erfandal avait beaucoup appris, sur la maîtrise des armes via l'entraînement intense qu'il s'infligeait mais surtout humainement, côtoyant les milieux les plus aisés et les plus cultivés de la cité Elfique. Il apprit l'art de la diplomatie, les ficelles de la politique et comprit que pour beaucoup, le paraître l'emportait sur l'être. Il avait lu tous les classiques Elfiques et pouvait sans problème soutenir une conversation engagée avec un des plus éminents Elfes de la cité.

Ljana, elle, était une magicienne, une de celles qui savent invoquer les éléments naturels, les maîtriser et les diriger. L'eau, le feu, la foudre, la terre … Elle savait leur donner la forme et l'intensité qu'elle désirait. Cependant, elle était surtout douée en extérieur, quand elle pouvait sentir le vent, les arbres et le parfum de la nature. Chose rare pour une fille de la noblesse. Bien souvent, ses parents lui interdisaient de quitter la ville. Dehors, il y avait bien trop de dangers, bien sûr, mais surtout d'individus peu fréquentables. Et il était hors de question que quiconque puisse voir Ljana au milieu de ceux-là. Ljana était d'une nature très douce et très respectueuse. L'autorité de ses parents était bien naturelle, tout comme le fait qu'elle exécute le moindre de leurs ordres. Ce n'est pas qu'elle n'avait pas de personnalité, ni même d'orgueil, de rêves ou de témérité. Elle les enfouissait sous son sourire et son hochement de tête approbateur de la moins importante demande de ses parents. Avec tout ce qu'ils avaient fait pour elle, c'était bien normal.

Erfandal regrettait cette situation. Il ne cessait de s'imaginer Ljana sans les bornes imposées par ses parents. Alors, quand ils n'étaient que tous les deux, Erfandal demandait souvent à Ljana ce qu'elle voulait, au fond d'elle. Le plus souvent, elle répondait la même chose que ce que ses parents lui rabachaient sans arrêt, mot pour mot. Erfandal soupirait alors, ce qui avait pour don de provoquer l'hilarité de Ljana.
Ils étaient bien à deux. Ils étaient heureux.

- Et c'est tout ? Pff … Ce ne sont que des foutaises. Vous inventez au fur et à mesure. Vous inventez bien, mais vous inventez. Vous recollez le peu de connaissances que vous avez pour que ça colle, mais manifestement, ça ne colle pas.
- Alors je vous raconterai la suite plus tard. Je n'ai plus envie de vous distraire. Je vous laisse à vos réflexions. J'espère que les lieux vous plaisent.

Il est parti. Ljana me manque. Mais Ambre plus encore. J'aimerais la voir, devant moi, son regard d'enfant dans son monde de grands. Elle assume ses responsabilités avec douceur, et je ne peux lui reprocher. Je redeviens un enfant moi-même quand je suis à ses côtés. Je regarde autour de moi. Chaque chose semble à sa place. Une sorte d'harmonie se dégage de l'ensemble. Je ne me suis jamais senti aussi à l'aise quelque part, si l'on oublie les barreaux de ma cage. Le sablier sur la table basse est à sa place. Même l'homme qui m'a ignoré à mon arrivée ici était à sa place. Il semble que tout ait un sens, une raison d'être. Et cette raison c'est moi. Après tout, mon geôlier me l'a dit. Tout ici m'est associé, du moins dans son esprit.
Et si c'était la clé de ma prison ?




J'ai encore un peu de mal à m'habituer à ces quelques changements sur moi. Mes yeux, mes cheveux. Je me surprends quand je me vois dans un miroir. Comme si ce n'était pas tout à fait moi. Pourtant, c'est moi, celle que je vois, c'est Ambre, il faut que je m'y fasse. Les gens qui me connaissent l'ont tout de suite remarqué. Ils pensent que j'ai teint une partie des cheveux. Alors je les laisse penser ça, ils m'ont trouvé eux-mêmes une explication plausible. De toute façon, qu'est-ce que je pourrais leur dire de plus ? Je ne sais pas pourquoi mes cheveux ont des pointes plus colorées, tout comme je ne sais pas pourquoi il y a ce cercle blanc autour de mes pupilles. Tout ce que je sais, c'est quand ça m'est arrivé. Pendant mon hallucination dans le désert de Yaacov. Les soleils ne peuvent pas faire ça. C'est peut-être des restes de magie entourant Sigdil. La cohabitation des Olympiens et des Elfes ainsi que la quantité de magie qu'il a fallu fournir pour ériger la cité rebelle pourraient très bien avoir laissé des traces. Mais je crois qu'on ne le saura jamais. Les Rebelles, c'est pas comme s'il en restait beaucoup. Ceux qui sont revenus à Na'helli ne diront jamais qu'ils ont été Rebelles. À part Gaver, mais je ne peux pas aller lui parler de ça. Ou alors cet Olympien, Dakon, qui était venu à la fête d'inauguration du sanctuaire de l'olivier. Il était gentil. Mais il est reparti, et personne ne sait où.

Il est reparti, tout le monde est reparti. Avant, j'étais toujours seule, alors je m'y étais habituée. Ça ne me faisait plus rien. Ça me plaisait, même. Mais maintenant, j'ai vécu tellement de choses avec eux. Il y a tous ces Elfes qui se sont retirés ou qui sont morts et que j'avais connus. Il y a aussi Syi, bien sûr, mais avant qu'elle ne devienne Juge. C'était mon amie. Je ne sais même pas où elle est en ce moment. Elle n'est plus comme avant. Il y a Le Chien, surtout. Ou plutôt, il y avait. Pourquoi ceux à qui je m'attache finissent par s'éloigner ? Est-ce qu'ils découvrent quelque chose en moi qui les repousse ? Est-ce que c'est moi, inconsciemment, qui les éloigne de ma vie ? Est-ce que je suis condamnée à vivre seule ? Est-ce que je dois reprendre ma vie là où elle s'est arrêtée il y a quelques années ? Comme avant ?
J'enfile ma vieille cape, et rabat la capuche sur mon visage. J'ai grandi un peu ces derniers temps, elle ne me va plus aussi bien. Je noue la cordelette que j'avais fixée à l'intérieur de ma cape à ma taille, pour qu'elle flotte moins quand je cours. J'avais fait ça moi-même. Oui, c'était bien avant … mais c'était mieux avec eux.



elfe Par Ambre  le 08/11/2011 à 11:04

Ça fait combien de temps ? Combien de temps que je suis coincé ici ? Je dirais une huitaine de jours, tout au plus. Sauf si le temps ne s'écoule pas à la même vitesse ici et sur Olympia. C'est plus que probable. Du coup, est-ce que le temps ici est accéléré ou ralenti ? Pour Ambre, est-ce que je suis parti depuis une heure ou une année ? Je demanderai à mon geôlier quand je le reverrai … si j'y pense.

Ça fait un moment que je regarde le sablier sur la table basse. Il est couché, le sable ne s'écoule pas et je ne peux pas m'en servir pour mesurer le temps qui passe. Ce n'est pas un hasard ou un accident. Il a été mis à plat justement pour cette raison. Pour m'extraire de toutes les contraintes de la vie sur Olympia. Je crois que c'est comme ça, avant. Je veux dire, avant qu'on soit lié à une personne. Je crois que nous, les esprits, sommes dans un état qui ressemble au coma. Qui ressemble, parce que nous sommes conscients, nous sommes éveillés, mais rien ne nous affecte. Comme si même la réalité n'avait pas d'emprise sur nous. Comme si nous attendions une autre réalité. C'est à peu près le cas, en y réfléchissant. Je viens d'un autre monde, détaché d'Olympia. On est là, sans y être réellement. Je ne parviens pas à l'expliquer. Parfois, un événement nous attire vers le monde « réel » où nous nous manifestons quelque temps. Souvent quelques secondes, parfois bien plus longtemps.

Tout comme ce sablier. Il existe, il est là, pourtant, dans cette position, il n'est pas lui. Il doit attendre d'être mis debout pour être pleinement. Il y a quelque chose d'autre qui m'interpelle dans cet objet. Pas le sablier en lui-même, mais le sable à l'intérieur. C'est ridicule, je compare mon existence à celle d'un sablier couché et voilà maintenant que je crois reconnaître le sable qui y est présent. Le pire, c'est que je continue à le croire. Ma raison ne me convainc pas, je suis persuadé. On dirait vraiment le sable de Sigdil. Pas celui qu'il y a dans le désert de Yaacov, mais bel et bien le sable de Sigdil. La nuance est infime, presque inexistante, mais c'est un fait, elle existe. Et je la vois. La seconde question, si le raisonnement est le bon, c'est : Pourquoi du sable de Sigdil ? Pourquoi un sablier avec ce sable ? Si ça m'est lié, je dois bien finir par le savoir ? Je n'ai connu Sigdil que du temps où j'étais avec Ljana. Pour Ambre, ce n'est qu'un tas de ruines ensevelies. Pourquoi est-ce que nous serions allés à Sigdil avec Ljana … ? On ne sortait jamais.

- Continuez.
- ...
- Faîtes un petit effort, vous y êtes presque.
- Allez vous faire voir.
- Comme vous êtes grossier. Vous avez tout oublié de vos leçons de bienséance ?
- Je leur ai dit la même chose : d'aller se faire voir.
- Tout ça pour quoi … ? Pour ne pas poursuivre là où vous en étiez ? Je vais le faire, moi.

Ljana était une jeune femme qui avait tout pour elle. Elle était probablement enviée et jalousée, même si l'on ne tenait jamais ce genre de propos dans la haute-société. Elle n'était pas devenue hautaine pour autant, ni même condescendante ou méprisante. Elle était restée très simple, ne relâchant pas les efforts qu'elle avait fait tout au long de sa vie pour en arriver là. Elle méritait son succès, cela ne faisait aucun doute. Ses parents étaient extrêmement fiers d'elle, et c'était là pour Ljana la plus belle des victoires. Ljana dispensait parfois quelques cours à l'École de Magie. Repérée très jeune pour son talent, elle faisait une recrue de premier choix. Elle incarnait parfaitement ce que Na'helli souhaitait pour tous ses magiciens. Chaque jour qui passait rendait Ljana plus belle et plus puissante. Personne ne voulait rivaliser avec elle, même parmi les plus anciens, elle avait su imposer sa maîtrise parfaite des éléments et de sa magie.

Erfandal, lui aussi, était devenu très puissant. Très rapide, aussi. Les rumeurs voulaient qu'il soit capable de tailler en pièces n'importe quel ennemi avant qu'il ait eu le temps de dégainer. Tous ces entraînements n'étaient pas que théoriques. Ils participaient tous deux très activement à la défense de la Cité. Que ce soit les factions Olympiennes, les Rebelles et les créatures diverses qui se sont attaquées à Na'helli, ils étaient de tous les fronts. La tâche d'Erfandal était simple : abattre tout ennemi qui s'approcherait trop près de Ljana. Si l'un d'eux regardait sa protégée avec trop d'insistance, Erfandal fondait sur lui en un éclair. Ses deux lames semblaient découper l'air sur leur passage avant d'abattre leur tranchant mortel dans les faibles espaces laissés découvert par l'armure de sa cible. Le spectacle était impressionnant, mais Ljana l'était encore plus. Levant les bras au ciel, elle savait invoquer des pluies de météores, des roches en fusion pleuvaient alors sur les troupes en marche. Si les archers souhaitaient se mettre à l'action, elle dressait un mur de flammes gigantesque pour être sûre qu'aucune flèche n'attendrait jamais la cité. Et si elle repérait le commandant des armées, le feu, son élément favori, était concentré plus que jamais, plus que quiconque ne savait le faire, pour former une immense boule qu'elle envoyait droit sur sa cible. Leur simple présence sur un champ de bataille renforçait l'ardeur des défenseurs qui, rassurés, pouvaient être plus efficaces que jamais.

Ljana serait devenu une très grande. Elle aurait probablement eu sa place dans quelque Conseil de Na'helli, occupant un poste à responsabilité. Elle aurait pris des décisions, elle aurait eu des choix à faire et, chaque fois, les missions auraient été accomplies.

Aurait, car tout ne s'est pas passé comme prévu. Tout a basculé le jour où …

- Ça suffit ! Arrêtez-vous.
- Vous ne voulez pas admettre vos échecs ? C'est pourtant une étape cruciale pour surmonter les épreuves de la vie.
- Je … si. Je veux raconter.

Je veux raconter.



Mon état a encore empiré. Je veux parler de mes cheveux, bien sûr, et de mes yeux. Les gens commencent à se demander ce qu'il se passe. Ils voient bien que ce n'est pas normal. Ils doivent me prendre pour une folle. Ou une sorcière. Alors pour éviter tout problème, je sors de moins en moins. Presque la moitié de mes cheveux est rouge, maintenant. Même avec la couleur dégradée, on voit que quelque chose ne va pas. Et mes yeux … eux qui allaient si bien avec mon collier, ils sont en train de devenir tout blancs. Et moi je perds la tête. Je suis Ambre. Je ne cesse de me le répéter. Je crois que si je ne le fais pas, je vais oublier, ou devenir quelqu'un d'autre. Je suis Ambre. J'essaie de me changer les idées.

Depuis qu'on est remonté à la surface après notre expédition dans les souterrains pour protéger un Pilier des Vivants, le monde entier semble avoir changé. On parle d'une collaboration avec les Impériaux. Syi a même organisé un sommet pour discuter d'une trêve officielle et d'une entraide. Ça a l'air de se faire. Tous les représentants Forestiers et Impériaux y sont allés. Ils ont beaucoup discuté. On n'avait pas le droit d'intervenir, mais on pouvait écouter. Un troisième Pilier semble avoir été découvert.
Amallya a besoin de volontaires pour une expédition au nord d'Olympia. Loin au nord. Après Lardanium. Je ne suis jamais allée aussi loin. Je n'ai même jamais vu Lardanium. Il paraît que c'est magnifique. Et puis, au moins, personne ne me connaît chez les Impériaux. En tout cas, pas assez pour se souvenir de la couleur de mes yeux ou de mes cheveux. Alors ils ne trouveront pas ça bizarre. Tous ces regards étranges que l'on me porte ici seront absents pendant un moment. Ça va me faire du bien. Et promis, quand on rentre, je vais voir Gaver. Je lui demanderai s'il peut m'aider.




Ma mémoire revient.

Ljana réussissait tout ce qu'elle entreprenait. Tout ce qu'on lui demandait de faire, elle le faisait, même si cela paraissait impossible. Elle savait qu'elle y arriverait, et elle y arrivait. Petit à petit, elle acquis ce goût du challenge, cette tentation de l'impossible, cette envie de repousser ses limites, si tant est qu'elle en eût. Si avant, Erfandal était celui des deux qui poussait l'autre à l'aventure, c'était aujourd'hui la situation inverse. Erfandal ne cessait d'envisager le moindre souci qu'il pourrait y avoir. Mais Ljana était sûre d'elle, et chaque fois, tout se passait bien. Les rapports entre Erfandal et Ljana se détériorèrent peu à peu, elle, lui reprochant d'être trop protecteur, lui, d'être trop hâtive.

Ce jour là, la dispute fut virulente. Les portes claquèrent, et le chemin vers le lieu de rendez-vous se fit dans le silence le plus complet. Ljana s'était vue confier une mission, la plus importante de toute sa vie, lui avait-on dit. Ce qui gênait Erfandal, c'était que le commanditaire de cette mission avait voulu rester anonyme. Tout ce qu'ils savaient, c'était qu'ils devaient se rendre tous deux au sud-ouest de Na'helli, hors de la forêt. Si Erfandal avait tout de suite voulu rendre Ljana méfiante, elle était au contraire plutôt enjouée et excitée par ces mystères. Ce fut la cause de la dispute. Elle en avait assez d'entendre les sermons d'Erfandal et le lui fit comprendre.

- Un ami, c'est pas ça !

Ljana était méconnaissable sous le coup de la colère.

- Si t'es pas capable de me faire confiance, tu ferais mieux de partir.

Incisive. Mais Erfandal avait juré fidélité et loyauté. Il ne partirait pas. Arrivés au lieu de rendez-vous, ils reconnurent immédiatement les deux parents de Ljana.

- Exactement à l'heure. Comme d'habitude.
- Oui, on l'a bien éduquée !
- On a reçu ce message pour toi. Il est écrit que tu dois te rendre au sud, près de la grande rivière de vapeur. En contournant Sigdil par le sud, tu ne crains rien.
- Je t'ai préparé tes affaires. C'est que tu pars pour un petit moment. Et on voulait garder la surprise. Il faut que tu partes seule, par contre, j'espère que cela ne te posera pas de problème.

La laisser partir seule ? Il en était hors de question. Il allait l'accompagner, il avait des engagements. Et puis elle pourrait avoir besoin de lui.

- Non. Il ne m'est d'aucune utilité. Il passe son temps à me ralentir. Il m'attendra chez nous.

Les mots étaient sortis de la bouche de Ljana avec tellement de délicatesse. Pas une once de regret dans la voix, pas un soupçon de tristesse ou d'amertume. Ljana était très forte, mais il l'était aussi. Il détecta sans difficulté que cela pesait sur le cœur de Ljana. Mais si sa mission l'exigeait, si ses parents l'exigeaient, alors c'était de cette manière que cela se passerait. Il n'y avait nul besoin de débattre. Ce fut aussi la raison qui fit qu'elle ne posa aucune question pour obtenir plus d'informations sur la nature de sa mission, ni même ce qu'elle devrait chercher une fois sur place. Si ses parents ne lui avaient rien dit, c'est que rien n'était à dire.

Tout aussi simplement que son raisonnement, Ljana salua ses parents, adressa un regard complice à Erfandal, fit volte-face et partit. Ce regard, seul Erfandal pouvait le comprendre. Résumé complet de leur relation unique, tout était clair. Un message sans mot, du cœur de Ljana au cœur d'Erfandal.

Erfandal reprit la route de Na'helli. Repassant en boucle les récents évènements dans sa tête, il ne put s'empêcher de remarquer que le temps serait extrêmement long sans elle à ses côtés. Plus il avançait, plus la distance entre elle et lui augmentait, et plus il avait envie de faire demi-tour. Mais les parents de Ljana avaient été clairs. Il faut qu'elle soit seule. Et Ljana a accepté ces conditions. S'il y allait maintenant, il bafouait la volonté de Ljana.
Mais s'il n'y allait pas, c'était son honneur qui était bafoué. Pourrait-il survivre en ayant ce poids sur la conscience ? S'il lui arrivait quelque chose, et qu'il n'était pas là … ? D'ailleurs, il fallait qu'ils soient tous les deux à leur premier lieu de rendez-vous. Pour quelle raison, s'il ne devait pas partir avec elle ? Est-ce qu'on se jouait d'eux ? Est-ce que quelqu'un s'amusait à les voir ainsi, s'emmêler entre leurs obligations et leurs souhaits ? Au diable les règles !

Erfandal rebroussa chemin. Il fila à toute allure. Il rejoignit l'orée du bois en un temps record. Là, c'était là, la dernière fois qu'il l'a vue. Et elle est partie par ici. Après cette brève pause pour retrouver son chemin, Erfandal se rua dans la direction qu'avait empruntée Ljana.

- Vous connaissez la suite.
- Malheureusement, oui. Vous ne l'avez jamais retrouvée … Vos efforts ont été vains. Vous y avez mis du cœur et de la volonté, mais il était trop tard. Vous vous étiez séparés de vous-même et le temps pour vous rendre compte de votre erreur vous a été fatal. Vous avez cherché partout, vous avez parcouru le sud des terres connues d'Olympia avec tellement d'insistance. Vous vous êtes approchés de la Chaîne des Dieux à l'est, à l'ouest aussi, vous êtes remontés jusqu'aux marais d'Héliké. Vous avez rodé près des montagnes du Radar Bek, et vous avez longtemps erré entre la rivière de vapeur et Sigdil … La ville rebelle, où vous avez abandonné tout espoir de la retrouver.
- Sigdil. Ljana. La seule fois où, pour moi, les deux ont été associés. Maintenant je suis Le Chien. Et je sers Ambre.
- Merci. Vous pouvez y aller. Elle vous attend.
- Je suis libre ?
- Essayez par vous-même. Bonne chance pour la suite.

Vous avez bon fond.



elfe Par Ambre  le 27/01/2012 à 15:43

Cela faisait plusieurs jours qu’Ambre ne répondait pas. Totalement figée par la vue des deux squelettes d’origine Elfique dans le cercueil de cristal, elle n’avait plus prononcé un mot, pas le moindre petit mot.
Elle était juste là, debout, devant le cercueil. Comme absorbée par ce qu’elle voyait. Comme plongée dans ses pensées, à des lieues au plus profond de sa conscience ... ou à un niveau bien plus élevé que l’existence.

Chacun vaquait à ses occupations. La plupart des Forestiers étaient repartis, pas forcément très sereins à l’idée de la fin de la première collaboration avec les Impériaux, si loin de chez eux, et si près des Enfers. On ne pouvait le leur reprocher.
Pourtant, personne ne se souciait de cette pauvre Elfe, plantée là comme un piquet.

Personne.

Personne, sauf ce petit esprit matérialisé sur Olympia. Il avait parcouru la distance séparant Na’helli de la grotte en un temps record. Il avait d’abord du demander à ceux qu’il connaissait de lui indiquer où il la trouverait. Il ne s’était pas posé de question, quand on lui avait dit qu’elle était avec des Impériaux et une délégation Forestière. Ses questions, il les poserait plus tard, s’il avait le temps.
Il était remonté par la brèche au centre d’Olympia, puis avait contourné Lardanium pour suivre la rivière à l’Ouest de l’ancienne Quatar. Il avait trouvé la grotte, s’y était engouffré sans autre plan que celui de la retrouver. La neige rendait ses mouvements difficiles mais pas impossibles. En débouchant dans la seconde galerie, il ne prêta pas attention aux cadavres de créatures qui jonchaient le sol, ni à la hauteur démesurée de l’Arche qui s’y trouvait. Celle qu’il était venu chercher se trouvait au centre de l’Arche. Celle qu’il voulait voir était plantée là comme un piquet.

Celle qu’il voulait entendre rire ne bougeait plus d’un pouce.

Quel spectacle ahurissant ! Quel contraste saisissant ! Ce tableau aurait fait sensation dans n'importe quelle galerie d'art, si tant est qu'un artiste ait pu saisir l'intensité du moment dans sa palette de couleurs. Il y avait d'un côté la jeune Elfe, aux longs cheveux aux pointes rougeoyantes, totalement pétrifiée, presque possédée, de l'autre l'esprit de la forêt, le souffle coupé par sa course folle et sa stupéfaction. Pour sûr, il échafaude des milliers de théories pour expliquer la manière dont se passent ces retrouvailles. Et jamais aucune ne lui convient. Il veut crier, il veut hurler, mais aucun son ne daigne sortir de sa bouche. Il n'aurait pas été assez rapide ?



- Il faut que je la sorte de là.

Boum !



- Aïe, euh !

Qu'est-ce que je fais par terre ? Je regardais le cercueil, les Elfes à l'intérieur, quelque chose m'a poussé.

- Le Chien ?!?

- C'est bien toi Le Chien ? Tu es revenu ! Tu m'as retrouvée !


Personne n'est là pour partager ma joie. Ça ne fait rien, Le Chien est revenu. On est de nouveau réunis.

- J'ai tant de choses à te raconter ! Et toi aussi je crois. Où étais-tu pendant tout ce temps ? Nan, c'est moi qui commence. Il s'est passé plein de trucs !

- Hé, mais arrête de me pousser !


Je crois qu'il essaye de me dire qu'il veut qu'on sorte d'ici. Alors on part comme ça ? Et les deux corps alors, c'étaient qui ?

- Oui tu as raison, on pourra y réfléchir dehors. Il faut aller raconter tout ça à la Reine.

On sort sans problème de l'Arche. Quelques Impériaux sont encore là, ils doivent terminer deux trois bricoles avant de repartir eux aussi. Je pense à Na'helli.



L'air pur. Glacé, mais pur. J'ai les mains toutes abîmées et le froid accentue mes lésions. Mais ça va aller. Le Chien est avec moi, alors tout va bien aller maintenant. Il a forcément remarqué mes cheveux qui rougissent. Il est parti un moment, je sais bien, mais tout de même. Je suis sûre qu'il n'a pas oublié qu'avant qu'il disparaisse, j'avais les cheveux entièrement blancs. Comme cette neige qui tombe autour de nous. Pourtant, là, le Chien ne pense même pas à me regarder, tout pressé qu'il est qu'on rentre vite à Na'helli. On fait quand même quelques pauses pour les nuits, on ne peut pas marcher tout le temps. J'ai froid. Je me recroqueville et entoure mes jambes de mes bras. Maintenant qu'on n'est que tous les deux, je baisse ma garde et Le Chien peut sentir que ça ne va pas fort. Alors il vient près de moi et je sens son souffle sur ma main. Et quand il me regarde comme il le fait en ce moment, je sais qu'il a vu les changements sur moi.

- C'est toujours moi, tu sais …

Je ne sais pas lequel des deux j'essaie de convaincre.

- Je suis la même, en dedans. C'est juste …
C'est arrivé pendant que je te cherchais. J'étais partie dans le désert, près de Sigdil.


Le Chien se redresse et me regarde d'une toute autre manière. Il attend la suite.

- Je ne me souviens pas bien, mais je suis presque sûre que c'est là que ça a commencé, je veux dire, les cheveux et mes yeux.

Le Chien ne me lâche pas des yeux. Et alors que je le regarde moi aussi, je me rends compte que nos rapports ne sont plus les mêmes qu'avant. Eux aussi ont changé. Il est pourtant toujours Le Chien. Je ne dois plus tout à fait être Ambre. Je ne vois pas comment je peux lutter contre ce phénomène que je ne comprends pas.

Rentrons vite.



Je reçois un nouveau message de l'Empire. Olympien, je crois. Je dois conduire les ingénieurs ainsi que quelques Impériaux jusqu'à l'emplacement de l'Arche des Songes.

- On va encore traîner un peu, je crois.

Je sais que Le Chien est déçu, lui aussi voulait rentrer vite. On a tous les deux vécu des choses éprouvantes. Mais la survie de notre monde est en jeu. Le reste peut bien attendre.
Et mon problème ? Bah … je changerai de nom.
Et j'achèterai un nouveau collier.



elfe Par Ambre  le 06/02/2012 à 11:14

Aujourd'hui, la Reine est morte. Comme ça, sans autre forme de procès. Elle n'était pas malade. Elle n'était pas âgée. Elle est juste morte.
Tout le peuple Elfique a été contacté. Forcément, un événement pareil, il fallait que tout le monde soit au courant. Ceux qui sont loin, ceux qui sont près, les pauvres, les vieux, les nobles, les jeunes, ceux qui l'ont honoré et ceux qui l'honoreront, ceux qui la pleureront et ceux qui ne s'en remettront pas. Je suis loin de chez moi, je suis jeune et je ne comprends encore pas très bien tout ce que ça veut dire. J'ai déjà connu la mort. J'ai perdu des proches. Mais jamais ma Reine.
Elen était avec elle. Si j'ai bien compris, ils ont combattu ensemble un ennemi insoupçonnable et terriblement puissant. Elle se serait sacrifiée pour le bien de tous.

Je repousse de la main une mèche de cheveux qui barre mon visage. Une mèche rouge.

On parle d'un dernier hommage lors des funérailles. Ça aura lieu dans la Tanière des Loups. La Reine aurait soi-disant voulu ça. Ce n'est pas impossible, au fond. Après avoir dirigé la noblesse de Na'helli et œuvré depuis son réveil pour l'émergence du peuple Sauvage, il était compréhensible qu'elle offre ce présent aux Elfes des Lunes. Je ne crois pas que tous les Nobles comprendront ça. Ils vont sûrement s'en prendre aux Loups, les accuser de profiter de la mort de la Reine pour s'octroyer ce droit. Mais ceux-là ne savent pas davantage quels étaient les derniers souhaits de la Reine.
Ah, il faudra que j'arrête de l'appeler la Reine. Son nom, c'est Kai'tlin. No'Irin Kai'tlin. Est-ce qu'on aura une nouvelle reine, maintenant ? Ou un roi ? Si c'est comme dans les livres, c'est le plus vieux de ses enfants qui monte sur le trône. Elle a des enfants, la Reine ?

J'aurais aimé la revoir. Ça fait longtemps que je suis partie. Je l'aimais bien, moi, la Reine. C'était un peu ma maman. Je sais que je n'ai pas le droit de dire ça, rapport au protocole, tout ça. Mais quand elle disait quelque chose, je l'écoutais avec tendresse. Quand elle nous demandait quelque chose, j'obéissais immédiatement. La Reine a toujours été mon modèle. Sa posture, sa beauté, sa façon de parler. Je sais que j'ai changé depuis que je suis petite, que je me suis fixé ces objectifs. Je parle mieux, je ressemble presque à une vraie Dame. Elle était toujours bien apprêtée. Jamais elle ne se serait montrée en public sans être parfaite. Ma robe, moi, ne ressemble plus à rien. Sale. Je la laverai ce soir.

Je n'irai pas à la Tanière des Loups. D'abord, parce qu'avec mon nouveau visage, peu me reconnaîtront, il y aura des questions, pour savoir qui est cette jeune femme qui pleure tant la mort de la Reine. Et puis aussi parce que je crois qu'un hommage peut tout à faire se rendre seul, à distance, dans la tête. Mon hommage ne sera pas plus grand parce que des centaines de personnes l'auront entendu. Il ne sera pas plus sincère parce que j'aurai pleuré devant tout le monde. Il sera l'hommage que je lui ferai, seule, d'elle à moi. En parfaite complicité. Je suis sûre qu'elle m'entendra, qu'elle aimera ça. Ce sera cette nuit.


Quand le soir vient, on fait une nouvelle pause. Les ingénieurs et toute l'escorte Impériale m'ont retrouvée, on fait route ensemble jusqu'à l'Arche des Songes. On monte le campement, on mange en silence. La tension est palpable. Pas à cause de la Reine, d'autant que j'imagine que les gens avec moi ne sont pas aussi affectés. C'est la potentielle fin de notre monde qui nous inquiète. Comme ce jour où la Comète s'était retrouvée si proche de la surface d'Olympia que tout avait été stoppé. Les gens étaient rentrés chez eux, avaient serré leurs amis et leur famille dans leurs bras. Tous s'attendaient à mourir ici et maintenant. On y avait réchappé.
Un simple sursis quand on considère ce qui nous arrive aujourd'hui. Plutôt que d'être percuté par une comète gigantesque qui aurait probablement fait exploser Olympia, on va basculer directement dans les Enfers.

Tout le monde dort, à présent. Le Chien dort lui aussi. Pas moi. J'attendais. Installée dans ma couche, je regarde les étoiles. Peut-être que la Reine est parmi elles, maintenant.

Je pense à elle. Qu'est ce que ça fait, d'être mort ? Est-ce qu'on part ailleurs ? Notre âme se détache de notre corps, et on s'élève pour atteindre d'autres strates. On retrouve alors tous ceux qui nous étaient chers et qui nous ont attendu tout ce temps. C'est ça ? Ou alors, on n'est plus rien, juste mort. Il n'y a rien après. Rien. On a été, on n'est plus. Est-ce qu'on peut savoir ce que c'est avant d'y être ? La Reine connaissait énormément de choses, elle n'était pas une simple Elfe, elle avait accès à des choses qui nous échappe complètement. C'est pour ça que c'était elle, la Reine. Est-ce qu'elle savait, du coup, ce qui l'attendrait le jour où elle mourrait ?
Je ne crois pas avoir réussi la tâche que je m'étais donnée. Je ne crois pas ressembler un peu à la Reine. Elle savait parler. Elle savait se faire écouter comme elle savait écouter. Elle savait se taire, ne pas en dire plus, ne pas en dire trop. Toujours parfaite. Plus que parfaite. Toujours la Reine. Moi, c'est tout juste si je sais qui je suis et ce que je fais.
Vous allez me manquer, ma Reine. J'aurais tant de choses à vous dire. Tant de choses qui ne vous auraient pas intéressée, mais vous auriez souri pour me faire plaisir, si vous aviez eu un peu de temps à m'accorder. Et j'aurais été comblée. Vous avez mené une vie exemplaire, mon exemple. Je tâcherai de vous faire honneur, encore maintenant, demain et les jours d'après aussi ...

Le Chien se lève et vient me voir. Aurais-je laisser échapper un son ? Je feins le sommeil et écoute attentivement sa respiration. Il repart. Tout va bien.

Vous serez fière de moi.


Au loin, une silhouette s'estompe. Et dans un souffle inaudible

- Elle l'est.



elfe Par Ambre  le 17/02/2012 à 13:48

On a fini par arriver à l'Arche des Songes. On a fait vite. Trop vite, même. La moitié à peine des ressources nécessaires est sur place. Les Géants doivent rapporter certaines choses, et puis, Elen a fait la demande de récupérer le cocon dans lequel la Reine était endormie durant toutes ces années. Il ne lui servira plus, et il ferait un excellent cercueil de remplacement. Le cercueil en cristal qui était ici bien avant a été entièrement détruit par les squelettes et autres créatures.

Elen profite du temps qu'on a à passer au plus profond d'Olympia pour parler à chacun de nous.

- Dame Ambre ... Puis-je vous parler en toute sincérité ?

Il n'attend pas de réponse. On le sait tous les deux.

- Je crois que vous feriez une excellente Consule, voir même une meilleure Juge que Dame Az’lissuë. Et je crois que vous serez d’accord avec moi pour dire que l’activité des Consuls est au plus bas, présentement. Et ceux-ci n’ont jamais fait montre d’une efficacité redoutable à prendre des décisions, que ce la soit en absence de la Juge ou non. Peut-être serait-il temps de renouveler ceux qui sont à la tête de notre nation, vous ne croyez pas ? Et si vous vous présentiez, je crois que vous feriez l’unanimité parmi les miens. Vous avez toujours lutté à nos côtés, loin des frasques des politiciens, pour le bien de Na’Helli et du Peuple Elfique. Je crois, si vous me permettez cette audace, que vous êtes celle qui consoliderait au mieux le pont entre les citadins et le Peuple des Lunes.

Un poste administratif ? Parmi tous les Nobles de Na’helli ? Je veux dire, avec les vrais Nobles ?
Est-ce que je deviendrai comme eux après ? Est-ce que je deviendrai comme Syi ?

Le doute monte en moi. Je ne sais pas. J’aime bien Syi, je l’aime beaucoup, même, mais je trouve que depuis qu’elle est Juge, elle n’est pas heureuse. Je n’ai pas trop fait attention avant, je ne sais pas si elle était heureuse, mais je suis certaine que, maintenant, elle est triste.

Je ne veux pas être triste comme elle. Mais Elen a l’air de tellement vouloir que j’accepte. Il m’assure que tous les Elfes des Lunes seraient d’accord.

Non, je ne sais pas, c’est trop tôt !

- ...

Ma voix ?!

- Ambre, vous êtes libre de vous présenter ou non, suivant votre propre volonté et conception de la justice, du pouvoir et de votre avenir. Je voulais juste vous dire que vos qualités en tant que dirigeante de la Tour de Jade ont été remarquées, et pas seulement par la Noblesse de Na’Helli. Voilà tout.

Que veut-il dire par là ? Il s'éloigne. Il est bien plus proche des Nobles que ce qu'il veut laisser croire. Un temps pour tout, et la politique en tous temps. J'imagine qu'il a ses raisons.

Tous autour s’affairent. La plupart répare la structure du pilier et les lutins, qui n’auraient pas été d’une grande utilité pour cette tâche, semblent avoir trouvé une toute autre occupation.
Elen, lui, poursuit ses démarches. Et les autres ... suivent docilement les consignes des ingénieurs.

Je me suis mise un peu à l’écart, volontairement. Personne ne m’en tiendra rigueur. Depuis qu'Elen m'a posé cette question, il y a deux choses qui me viennent en tête. L'une me fait du bien, me rassure. L'autre me perturbe. Ou plutôt, m'angoisse profondément. Déjà, il m'a reconnue et m'a appelée Ambre. Malgré mes changements. Malgré ma mauvaise mine et ma nouvelle apparence. Je suis Ambre. Mais ce qui m'angoisse, plus que la question elle-même, c’est ma non-réponse. Pour Elen, rien d’anormal, il se dit sans doute que sa déclaration m’a choquée ou, en tout cas, poussée à la réflexion. J’aurais voulu lui répondre ! Je savais quoi lui répondre. Enfin, j’aurais bredouillé quelque chose, n’importe quoi ! Je n’ai pas pu ! Aucun mot n’est sorti. Aucun son.

Je dois réessayer. Personne ne me regarde. Il faut que j’appelle quelqu’un. Tiens, Dalhia.

- ... ?!!




Par Google  

elfe Par Syi Az’lissüe  le 04/03/2012 à 04:30

Vas-y, prends ma place, pendant que tu y es !

Tout cela est intéressant, j'attends la suite.