Fin d'un oiseau de mauvais augure | |
Topic visité 434 fois Dernière réponse le 12/04/2012 à 20:02 |
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Les défenses se mettaient en place peu à peu, à l’orée de la Forêt des Cendres. Le Chaman donnait des ordres ici et là à ses subalternes, non sans mettre lui aussi la main à la patte. Les LEDA et certains Paladins travaillaient avec les Éclats; étrange coup du sort qui réunissait les ennemis de jadis pour une cause commune : la survie du plus grand nombre.
Cette activité les accapara tous plusieurs jours et laissa peu de place aux conversations personnelles. Pourtant le Chaman eut bientôt une nouvelle importante à annoncer à Isa et il décida de leur octroyer un moment de répit. Les constructions étaient toutes quasiment terminées, les combats s’annonçaient imminents à l’orée ouest de la Forêt des Cendres et risquaient de les éloigner de nouveau l’un de l’autre... Aussi la jeune femme vit le Loup la rejoindre près des fortifications qui venaient juste d’être achevées. - Isa... Je sais que le moment n’est peut-être pas très approprié... Mais j’aimerais passer un peu de temps avec toi. Rien que nous deux. Une petite balade, ça te tente ? Sa voix, étrangement mécanique, laissait filtrer le grand vide qui s’était installé en lui. Ce vide qu’elle seule pouvait combler. Directement après sa rupture perturbante, il s’était dirigé vers l’Olympienne, comme pris dans un rêve. Ils n’avaient pas arrêté depuis presque une saison et le journal d’Isa ne s’était guère rempli. Il y avait bien des consignes pour les constructions et quelques bavardages avec ses compagnons olympiens mais la magie de son arrivée à la Tanière s’était évaporée pour des préoccupations bien plus terre à terre. Elle fut donc ravie de la proposition du Chaman, pressée de retrouver cette intimité qu’ils avaient partagée... Hier ? - Pourquoi inapproprié ? On a bien le droit à une petite pause ! Pourtant le ton d’Elen lui laissait une impression étrange, comme s’il était ailleurs, perdu dans ses pensées. Elle l’aurait vu plus enthousiaste pour venir la chercher ! En tout cas elle, elle l’était ! - Qu’y a-t-il ? Des soucis sur un chantier ? - Non, non... Viens... Allons-y. Dit-il, lui tendant son bras avec une certaine galanterie. Elle lui prit avec un sourire, pour lui emboîter le pas. Ils pénétrèrent dans la pénombre du sous-bois, emplie de brume opaque comme depuis plusieurs jours. - J’ai parlé à Nil, tout à l’heure. Énonça-t-il avec sobriété. Compte tenu de la situation, je trouve qu’elle a plutôt bien pris notre rupture... Minimisa-t-il, volontairement, car pour lui tout ce qui avait précédé devait conduire inéluctablement à cette issue.. - Oh... Isa fut si surprise qu’elle s’arrêta net.Je... L’air confus d’Elen s’expliquait donc ! Elle avait définitivement manqué de clairvoyance cette fois. La jeune femme n’aurait pas pensé que cela serait si rapide... De son point de vue. Car sans se rendre vraiment compte du temps qui filait, elle n’imaginait que vaguement les affres qu’Elen et Nil devaient ressentir dans cette situation plus intenable jour après jour. Elle reprit la marche et murmura au Chaman : - Ça va aller ? - Je pense... Si elle ne réagit pas trop violemment dans les jours qui viennent... Le Chaman semblait indifférent à cette séparation, comme s’il s’agissait d’une évidence contre laquelle les émotions ne pouvaient pas interférer. Lors de son esclavage, il avait prié pour que Nil le recherche. Mais à son retour, il avait appris que seul Calith s’était élancé éperdument sur ses traces. Nil était malade. Mais cela ne changeait rien. Lui, même pris dans les filets de Némésie, il n’avait eu de cesse que d’éloigner les dangers de sa femme et de ses amis. Alors pourquoi n’en avait-elle pas fait autant ? Et cette déception, plus la distance qu’ils avaient mise entre eux l’année suivant avaient contribué à briser les restes de leur couple. Pour Elen, Nil et lui ne partageaient plus rien depuis bien longtemps. Et sans l’arrivée de Isa dans son coeur, ou plutôt la révélation de ce qu’il avait ressenti pour l’Olympienne dès les premiers instants, la situation délétère aurait continué. En vérité, à présent, il se sentait soulagé. Soulagé de ne plus avoir à cacher son idylle avec la douce et charmante Isa... Celle-ci se sentait un peu perdue, pour le coup. Allait-elle trouver sa place ? Faudrait-il encore du temps ? Elen avait l’air sûr de lui mais est-ce que ça lui serait aussi facile de se faire aux changements ? - Qu’est-ce... Qu’est-ce qu’il va se passer maintenant ? - Ce qu’il va se passer ? Toi et moi, nous allons passer du temps ensemble. Nous accorder l’un à l’autre. Commencer à faire des projets. Et nous suivrons notre route, tous les deux. Lui répondit-il, serein, avec un sourire plein de tendresse. La présence de l’Olympienne avait suffit à chasser les démons de la séparation. Elle agissait comme un exorcisme. Mieux encore, elle donnait plus de saveur à toutes choses : elle rehaussait sa vie comme les épices les plats. Toutes ses pensées tournées vers elle, il ne feignait plus de sourire : l’avenir se trouvait là, auprès de lui. La jeune femme hocha la tête, d’abord perplexe. Puis elle réalisa enfin qu’une page de sa vie se tournait, que l’horizon s’ouvrait sur les bonheurs dont elle avait toujours rêvés. Un sourire radieux s’épanouit sur son visage. Elle sauta au cou d’Elen et l’embrassa timidement, comme pour vérifier si tout cela était bien vrai. Il l’enlaça et répondit à ses baisers avec tendresse. Puis les mots qu’elle s’interdisait de dire depuis de nombreuses saisons effleurèrent ses lèvres : - Ne li lelo, Ereinlen. Fit-elle tout bas, au creux de son oreille. - Ne li lelo, Isa. Ne li garo as ouranin lea ot lele. Murmura-t-il, avant de l’embrasser derechef. Ils continuèrent à se promener, main dans la main, Elen la quittant rarement des yeux. Soudain, le sol se déroba sous leurs pieds. Des branchages se rompirent et de la terre qu’on avait parsemée s’éleva en un nuage tandis que le couple passait au travers. Par réflexe, Elen serra d’un bras Isa contre sa poitrine alors que son corps, dos au sol, s’étalait rudement au fond de la fosse. Les débris retombèrent autour d’eux... Elen, EdL
Chaman du clan du Loup au conseil des Lunes Responsable de l'Éclat des Lunes ♥ |
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- Mais qui m’a fichu un piège à ours ici ! Tout va bien, Isa ?
- Oui... Elle n’avait pu retenir un cri lorsque le sol avait cédé, qui s’était arrêté net quand ses poumons s’étaient vidés au bout de la chute. Elle se releva pour permettre à Elen de se dégager. Ils se voyaient à peine dans la fosse emplie de brume. - Et toi ? Rien de cassé ? - Ça va. Fit-il, embrassant son front. Qu’est-ce que tu dirais de sortir de... Il roula sur le côté, s’interposant entre Isa et une gerbe d’énergie magique. Il serra les dents tandis que le sort le touchait de plein fouet. Un volatile vaporeux et étincelant disparut, laissant une marque profonde et sanglante sur l’épaule du Loup. Celui-ci se releva instantanément, et bondit, tirant son épée au clair, la lueur flamboyante de la lame rivalisant à peine avec son Saïka. La paroi verticale, bien trop haute, ne lui permit pas d’atteindre son objectif. Pivotant sur lui-même, il esquiva un nouveau sortilège, mal ajusté. - Isa, je vais te faire remonter... Va chercher Rôde ou Evonis ! Isa hocha la tête. Il fallait sortir de ce trou, c’était incontournable. L’attaque avait été fulgurante et ce n’était pas en restant coincés là qu’ils s’en sortiraient. Elle pourrait analyser ses options une fois en haut, quoi qu’en dise Elen... - Aide-moi. Le Loup lâcha son arme, se campant sur ses deux jambes, ses mains jointes pour faire la courte échelle à l’Olympienne. Un nouveau sortilège l’atteignit sans qu’il ne bronche. Elle recula contre la paroi la plus éloignée, un maigre élan pour atteindre le rebord grâce à Elen. Aussi rapidement que possible, elle sauta d’abord sur les mains d’Elen puis vers le haut tandis qu’il la propulsait. Elle agrippa la bordure et profita de l’élan pour se surélever, son regard balaya les alentours pour chercher leur ennemi le temps d’un battement de coeur puis elle roula sur le côté pour se dégager de la fosse. Elle sentit une vague d’énergie magique tandis qu’une explosion retentissait dans le fond de la fosse, des éclats métalliques perçant le Chaman de toute part. - Elen ! Cria-t-elle, le fond du puits complètement disparu dans un nuage épais de gravats et de brume. - Cours Isa ! C’est lui ! Il n’en a pas après toi ! Entendit-elle au travers des volutes brumeuses encore agitées par la déflagration. Il y eut un mouvement dans le brouillard non loin d’Isa. Elle bondit sur ses pieds et adressa une prière muette à Aphrodite. Rassemblant ses forces, elle calma sa respiration et releva ses barrières magiques. - Il a raison, petite Olympienne... Ne te mets pas sur ma route... Fit une voix qu’elle ne pouvait reconnaître. Sans rien répondre, elle se déplaça lentement jusqu’à être face à ce qu’elle pensait être la direction de la voix, laissant la fosse derrière elle. Ses yeux scrutèrent le brouillard pour y déceler une silhouette. Un Elfe émergea de la brume à quelques pas d’elle, son visage recouvert d’un tatouage étincelant, étrange motif de formes géométriques complexes. - Écarte-toi, petite fille. Fit-il, sur un ton impérieux. - Là vous rêvez. - La dernière fois ne t’a pas suffi ? - La dernière fois vous avez été trop couard pour m’affronter directement. Ca avait peu de chance de m’impressionner. Isa se forçait à garder son calme. Isandre était un bon exemple, avec son aplomb glacial et sa tenacité hors du commun. Il fallait qu’elle arrive à l’imiter pour mettre quelques chances de son côté. Ou Elen... - Isa ! Pars, bon sang ! - Ça va aller, Elen, ne t’inquiète pas... Murmura-t-elle. - Dommage pour toi... Fit-il, avec un signe de dénégation. Le Corbeau sembla siffler entre ses dents tandis que l’énergie pure prit forme et il se lança immédiatement à l’assaut de l’Olympienne, dispersant la brume. Isa mit toute sa puissance mentale à se protéger de l’attaque. La première salve se retourna contre l’Elfe et l’Olympienne trouva la faille pour qu’il goûte à ce qu’il voulait lui infliger. Il chancela un instant, stupéfait qu’elle ait pu utiliser son propre sort à son insu puis il mobilisa instantanément sa magie pour tenter de la surprendre. Les défenses de la jeune femme tinrent bon mais elle ne parvint pas à le mettre en défaut une seconde fois. L’énergie se dissipa autour de l’Elfe qui pensa tenir sa revanche. Il projeta une troisième vague et le bouclier d’Isa céda finalement. Le maléfice s’engoufra pour corrompre ses propres énergies et elle sût qu’elle devrait calculer minutieusement ses coups pour ne pas dilapider inutilement ses forces. - Abandonne, fillette. Tu ne sais pas contre quoi tu luttes... - Vous non plus, visiblement. Elle masqua sa peur derrière un petit sourire de provocation, pour lui montrer qu’elle avait perçu une certaine surprise chez lui et qu’elle ne renoncerait pas si facilement. Dans les faits, elle ne se faisait guère d’illusions : c’était déjà miracle d’avoir échappé à deux attaques mais si les Dieux étaient avec elle, elle pourrait toujours le fatiguer assez pour qu’il rompe avant de s’en prendre à Elen. Ou avec encore plus de chance, le Loup arriverait à s’extirper du piège et à eux deux ils mettraient le Corbeau en pièce; il fallait donner du temps au Chaman, rien de plus. Des mots de pouvoir fulgurèrent de la gorge de l’Olympienne, capables de le fragiliser. S’il commençait à douter, il finirait par commettre certaines erreurs. Sa magie perça les défenses de l’Elfe. Enhardie, elle projeta une onde de choc, sans doute un peu vite car il l’évita sans difficulté. Déçue, elle tenta néanmoins de miner ses réserves magiques. Ce serait toujours ça qu’il ne pourrait pas utiliser contre elle... Xeis sentit une partie de son Finyë s’évaporer, une douleur fulgurante dans sa tête. Pour ne pas se laisser déborder, il opta pour une série de sorts simples, enfantins et contourna l’Olympienne au pas de course. Trois volatiles étincelants se jetèrent sur la jeune femme, s’étoffant de panaches de brume comme pour gagner en consistance. Surprise, elle cria et elle leva les bras pour protéger son visage des griffes et des becs acérés des oiseaux avant de réaliser qu’elle ne pourrait les arrêter dans le monde physique. Le temps qu’elle dresse de nouvelles barrières psychiques pour dissiper les créatures, des estafilades cuisantes ornaient ses avant-bras. Elle se morigéna intérieurement, ce genre d’erreurs était digne d’une débutante. |
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- Xeis ! Laisse-la tranquille ! C’est entre toi et moi ! Hurla le Chaman, alarmé par ce qu’il entendait du combat.
Rendu impuissant par son emprisonnement forcé, il vivait un véritable cauchemar à imaginer le pire alors qu’il tentait sans beaucoup de succès de gravir les parois. - Ce n’est rien, Elen Voulut-elle le rassurer. Plus de peur que de mal. Comme quoi les numéros de foire font encore leur petit effet... La colère commençait à la gagner et les mêmes mots fusèrent. Isa espéra qu’ils auraient autant de succès que précédemment. Hélas, l’Elfe cette fois averti s’en défendit. La jeune femme sentait toujours ce venin étrange perturber ses facultés. Si le combat s’éternisait, il devenait de plus en plus clair qu’elle n’aurait pas le dessus. Elle changea de tactique et usa d’un sort bien plus destructeur, tant qu’elle le pouvait encore. Cela puisa durement dans ses réserves magiques mais cela pouvait payer. La puissance de l’Olympienne le frappa de plein fouet. Il n’avait pas prévu que sa proie se défendrait avec un tel acharnement, ni même qu’il s’agissait d’une magicienne accomplie. Perclus de douleur, il siffla un nouveau charme. Elle retourna habilement l’énergie contre lui mais, dans une complexe manoeuvre, il croisa contresort et sortilège. Isa fut touchée de plein fouet par un éclair verdâtre : les esprits qu’il venait d’invoquer empoisonneraient son sang. L’Olympienne entendit ensuite un hurlement terrifiant, qui lui vrilla les tympans, tandis que Xeis contemplait les effets de sa nouvelle convocation, satisfait. Les mains à ses tempes, elle chancela et laissa échapper un gémissement lorsqu’elle sentit son sang comme changé en lave. Avait-elle présumé de ses forces ? L’empoisonnement à la belladone n’était rien comparé à ce qu’elle endurait maintenant... Mais voir l’Elfe savourer déjà sa victoire la mit hors d’elle. S’il fallait qu’elle trouve une source d’énergie, elle en tenait une, là, juste devant elle. Elle banda ses forces et arracha à l’essence de Xeis de quoi renouveler sa propre mana. Une première fois, puis deux, avant de tout renvoyer en une nouvelle frappe brutale. Mais cette gymnastique spirituelle l’épuisait physiquement. Cela conjugué aux poisons... Elle ne savait pas combien de temps elle pourrait tenir à ce rythme. Le Corbeau se dissimula dans les ombres brumeuses, derrière un arbre, là où elle ne pouvait plus l’atteindre. - Tu te débrouilles bien, gamine. Lui lança-t-il, sincérement impressionné par la prestation d’Isa. - Les Olympiens ont la réputation d’être tenaces. Vous par contre, vous avez encore l’option de fuir. Dès maintenant. Profitez de cette offre, il se peut que je ne la renouvelle pas. Elle pouvait toujours essayer de l’avoir à l’estomac, les échanges précédents ayant prouvé au Corbeau qu’il laisserait au moins quelques plumes dans sa probable victoire. Si la finalité était de s’en prendre ensuite à Elen, il pourrait ne plus être en mesure de le défaire, son tour venu. - Et manquer ton humiliation ? Evidemment... Ca aurait été trop beau qu’il se carapate ! Elle serra les dents. Autant pour cacher un instant d’abattement que pour juguler la douleur lancinante qui l’handicapait de plus en plus. Il surgit de sa cachette, mobilisant une formidable quantité d’énergie qu’il projeta vers Isa. Mais elle l’avait repéré au son de sa voix. L’explosion adamant qu’il destinait à l’Olympienne lui fut renvoyée durement. Plusieurs arbres furent soufflés et les plus fragiles tombèrent. Isa profita de cette opportunité pour drainer l’essence de Xeis. Aussi longuement que possible. Sa main tendue, comme agrippée à un voile éthéré qu’elle arracherait à l’Elfe pour s’en nourrir... Elle n’avait pas le choix si elle voulait continuer le combat car ses forces mentales ne revenaient pas. Son corps faiblissait plus encore tandis qu’elle revivifiait sa puissance magique. Jamais elle n’avait été aussi loin dans les combinaisons des Eclats Divins et si elle avait déjà expliqué à Elen leur perversité latente, elle la mesurait dans toutes leurs contradictions à cet instant précis. - Tu ferais bien de cesser le combat ! Il invoqua simultanément un esprit de colère, un oiseau spirituel et une essence qui empoisonnerait plus encore Isa. La pauvre Olympienne subit les trois sortilèges cumulés. Le hurlement terrible retentit tandis que l’oiseau l’attaquait à coup de son bec tranchant et l’essence maudite se mêla une fois encore aux énergies de Isa. Sous la pluie de sortilèges qui s’abattait sur elle, elle se recroquevilla, terrorisée. Il lui fallait une solution pour la sortir de ce traquenard ! Le principal problème était qu’elle devait impérativement s’accaparer les forces de Xeis avant de les retourner contre lui et elle n’entrevoyait pas l’ombre d’une autre option. Allait-il se fatiguer avant qu’elle ne cède ? Il n’en donnait pas l’impression. Elle sentit la mort l’effleurer de ses doigts glacés et laisser en elle un profond sentiment de renoncement. Elen... Je crois que... Je suis désolée... Arrête donc de geindre ! Asséna la petite voix aigrelette. Bats-toi au lieu de me faire honte ! Ah, si ton précepteur te voyait ! Incapable de te dépêtrer des pattes d’un vulgaire illusionniste ! Le souvenir d’Isandre qui s’associait à la voix pour la tancer lui donna un coup de fouet. Elle avait raison, il n’était pas envisageable qu’elle abandonne. Pas aujourd’hui, alors que tout lui souriait ! Il fallait se battre jusqu’au bout ou ils mourraient tous les deux. Ça ne pouvait pas se terminer ainsi... Elle se redressa, ses yeux devenus noirs dardés sur son adversaire, faisant fi de son corps enfiévré, des poisons qui lui volaient sa vie à chaque battement de coeur. Il fallait en finir. Maintenant ! Avec toute la morgue qu’elle avait appris de sa grand-mère, elle cracha : - C’est tout ce qu’un Corbeau sait faire ? Pas étonnant que vous soyiez si peu nombreux. La sélection naturelle ne doit pas être tendre avec vous. - Tu vas voir, sale garce ! Il canalisa sa magie mais l’Olympienne profita de la fureur aveugle de son adversaire pour retourner une fois encore la magie contre lui. L’explosion pulvérisa encore plusieurs arbres. Fulminant, et se relevant avec peine, il concentra toute son énergie dans les sorts suivants. Deux formidables explosions retentirent là où elle se tenait. - Isa ! Fit le Chaman, se hissant avec peine à l’extérieur de la fosse, plissant les yeux à la recherche de son aimée. Tout semblait dévasté à proximité du trou. Ci et là, de petits incendies illuminaient les environs, tels des feux follets. Les arbres étaient tombés sous la violence du combat. Elle ne devait pas être bien loin. Il tira son épée au clair, et s’élança vers les combats qui l’avaient éloignée de lui. Elen, EdL
Chaman du clan du Loup au conseil des Lunes Responsable de l'Éclat des Lunes ♥ |
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A peine eut-elle été soufflée par les deux sortilèges qu’elle entendit un cri bestial : le Corbeau, à cours d’énergie, et de solution, avait décidé d’en finir. Une fureur mortelle illuminait ses yeux, son Saïka scintillant et se reflétant dans la lame claire de la dague qu’il brandissait, prêt à frapper.
Elle fut prise de panique en voyant le long couteau. Elle n’était pas formée à affronter ce genre de combattants à leur manière. Mais elle se raccrocha à l’enseignement des mages de guerre, rompus à la maîtrise d’eux-mêmes sur les champs de bataille. Elle avait encore quelques cartes à jouer, alors que lui semblait finalement encore plus en déroute qu’elle... Avant qu’il ne soit sur la jeune femme, Isa se focalisa uniquement sur les transferts d’énergie. Un mauvais dosage et c’en serait fini d’elle... Prendre de quoi tenir... Encore quelques secondes... Et tout serait joué. Xeis frappa une première fois mais l’énergie que lui drainait l’Olympienne l’empêcha d’ajuster correctement le coup et il ne fit que l’égratigner. Le deuxième coup ne fut pas plus brillant et elle le dévia. Déséquilibré, il s’agrippa à la manche de l’Olympienne, et l'entraîna dans sa chute. Elle voulut se retenir pour ne pas s’écrouler et posa sa main sur le torse de l’Elfe étendu. Elle sentit la lame glisser sur ses plaques thoraciques en une longue entaille, tandis qu’elle chutait sur lui. Sa main libre se referma sur le poignet de Xeis, pour l'empêcher de l’attaquer de nouveau. Les brumes semblèrent les envelopper. Elle forgea un ultime sort et le corps de l’Elfe devint un puits où elle s’abreuva longuement. Les doigts de l’Olympienne froissèrent l’étoffe sur la poitrine du Corbeau tandis qu’elle se rassasiait de son Finyë et de ses forces vitales. Une satisfaction intense la submergea, celle d’avoir vaincu son ennemi, de l’avoir à sa merci, de le dominer complètement ! Le côté sombre des Éclats Divins, cette volupté fascinante et la tentation qu’elle engendrait... Isa plongea son regard dans celui de Xeis et se réjouit du spectacle qu’elle découvrit. La respiration haletante de l’Elfe et la panique dans son regard trahissaient la terreur qu’à présent elle lui inspirait. Il sentait sa vie s’écouler hors de lui, flot qu’aucun barrage ne pouvait juguler. Il tenta de se débattre une dernière fois. Ses muscles désormais atrophiés ne pouvaient lutter. Maintenu par une poigne de fer, il ne put que la regarder se délecter des dernières gouttes de vie dérobées à sa proie. Sa peau se dessécha. Les orbites du Corbeau se creusèrent. Enfin, il expira, dans un long et intense râle après un dernier soubresaut d’agonie. Sa tête s’affaissa, se détacha de son corps et roula. Elle s’arrêta non loin de là, au pied des chausses d’un Chaman médusé, bouche bée... - Isa ?... La voix d’Elen lui parut comme sortie des limbes, feutrée, presque irréelle. Était-ce bien elle qu’il appelait ? Elle ne l’aurait pas parié... Tout lui paraissait si étrange, bouleversé... Elle avait suivi la tête du regard, alors qu’elle était toujours à moitié juchée sur le corps décapité. Elle leva les yeux vers Elen, son regard d’ébène trahissant la torture que lui infligeaient encore les maléfices. - Oui... Le Chaman, les vêtements ensanglantés fit un pas vers elle. Puis un autre, et il lui tendit une main tremblotante. Jamais il n’avait vu un Olympien utiliser de tels sorts contre des Elfes. Malgré tous les combats auxquels il avait assisté. Peut-être ne faisait-il pas attention, alors ? Les yeux d’Isa se troublèrent en apercevant la silhouette d’Elen. Lui aussi était mal en point... Elle se leva doucement et prit sa main. La tension redescendait, elle reprenait pied dans la réalité. Le cadavre lui apparut pour ce qu’il était, déformé et horriblement mutilé... Elle eut un haut le coeur, se détourna rapidement d’Elen et s’agenouilla, pliée en deux sur son estomac trop noué pour laisser sortir quoi que ce soit. Le Loup s’agenouilla auprès d’elle, posant la main sur son épaule. Elle l’avait terrifié, un instant. Elle, la redoutable sorcière. Si semblable à son aïeule. A Isandre... Mais il la retrouvait, à présent, douce et fragile. Celle qu’il se devait de protéger, coûte que coûte. Celle qu’il aimait. - Ce... C’est fini, Isa... Murmura-t-il. Elle hocha lentement la tête, à bout de souffle. Au bout de quelques secondes, elle répondit aussi doucement : - Tu vois, je t’avais dit qu’il ne ferait pas le poids... Elle esquissa un sourire forcé.- Et toi ? Il faut rentrer... Tu as une tête à faire peur. - Tais-toi donc... Tu es dans un état bien pire que le mien. Il l’aida à se relever, ses mains dans les siennes. J’ai eu si peur pour toi... Il l’étreignit, non sans une certaine appréhension. Et si un jour elle recommençait ? Et si elle ne parvenait plus à s’arrêter, si elle perdait le contrôle ? Il frissonna à cette idée, déglutissant. Non. Elle n’aurait plus jamais de prétexte pour utiliser de tels pouvoirs. Il prit ses lèvres avec ferveur, l’embrassant pour chasser le souvenir du combat et elle se fondit dans son étreinte, reconnaissante de cette douce chaleur dont il l’enveloppait. Elle se laissa aller contre lui un long moment. Puis il l’éloigna du corps. Les charognards se chargeraient des restes de la dépouille. Xeis ne méritait aucune sépulture. Puis il s’adossa contre un arbre, exténué. - Tu étais... Irrésistiblement forte... - Il m’a appelé “petite”. J’ai horreur de ça. Fit-elle, en optant pour l’humour. Elle ne pouvait pas lui avouer qu’elle avait eu surtout beaucoup, beaucoup de chance. Il ne ferait que s’inquiéter encore, bien que leur ennemi ait été occis. Le Corbeau était peut-être doué pour jeter des maléfices, mais il n’avait pas forcément l’habitude des combats à découvert. Il avait été maladroit et peu concentré face à un adversaire dont il ignorait les ressources. Sans ses erreurs elle ne l’aurait probablement pas vaincu. Elle prierait pour ses instructeurs de l’école de guerre, grâce soit rendue à leurs enseignements. - Tu seras en sécurité, désormais. Je te le promets... Bientôt, nous n’aurons plus jamais à entendre parler des Corbeaux... Annonça-t-il, affichant un sourire étrange, à la fois déterminé et carnassier, une volonté bien éloignée de son inquiétude précédente. - Ils ne sont pas forcément tous comme lui... Je... je ne pensais pas ce que je lui ai dit tout à l’heure... Elle savait qu’elle avait été odieuse en parlant du clan dans son ensemble, mais c’était pour le provoquer, pas pour énoncer une véritable généralité. Et Elen avait l’air de tous vouloir les dévorer... - C’est comme les Géants... Ou les Olympiens. Il y a en des biens et puis il y a les autres. Il ne faut pas en vouloir à tous pour les erreurs de quelques-uns. - Crois-moi. Ils ne méritent aucune pitié. S’ils ne sont plus capables de tenir les leurs, alors je le ferai à leur place... Elle se serra contre lui, malgré la magie délétère qui la brûlait encore et l’embrassa à son tour, comme pour conjurer un avenir des plus sombres. - Ne te laisse pas porter par l’entropie... Fit une voix familière, causant un léger frisson au Chaman. |
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Elen étreignit plus fort encore la jeune femme, sans rompre leur baiser. Pourquoi l’autre choisissait-il toujours de tout gâcher ?
- Tu as eu ta vengeance. A présent, ne te laisse pas porter par des sentiments qui ne sont pas les tiens. Il sursauta franchement, rompant le tendre instant qu’il partageait avec Isa. Mais que voulait donc Kowü ? Il l’avait poussé dans les bras de l’Olympienne, lui demandant d’avoir confiance en ses sentiments pour elle, et à présent il lui demandait de ne plus lui faire confiance ? Pourquoi soufflait-il le chaud et le froid ? Pourquoi ? - Elen ? Tout va bien ? Isa avait senti le tressaillement du Loup. Mais il n’y avait plus rien à la ronde... - Tu ne l’entends pas ? - Non... Qui ça ?... Kowü ? La tension de l’attaque avait peut-être fait surgir son Mentor de l’esprit du Loup, pensa Isa. - Il est là, il nous observe. Souffla-t-il avec un hochement de tête et il se blotit contre elle. Elle prit quelques secondes pour regarder autour d’eux et projeta son esprit pour discerner des fluctuations magiques qui les environnaient, signes qu’un esprit, ou du moins une démonstration d’énergie, pouvait se trouver là. Les seules qu’elle trouva, légères, étaient chez Elen. Mais elle était tellement épuisée qu’elle n’aurait pas juré ne pas en avoir ratées. Elle lui caressa la nuque tendrement, pour le rassurer. - Je ne le vois pas... Est-ce qu’il te parle ? Il hocha la tête, retenant son souffle tandis que Kowü poursuivait. - Je t’ai formé. Tu devrais comprendre, pourtant. Alors que le mentor de l’actuel Chaman parlait, Isa put ressentir une plus vive fluctuation dans les énergies du Chaman. Comme un bond. Puis l’étrange bruit de fond des petites oscillations reprit, aussi inhabituel que le reste. Devait-elle lui dire ? Lui qui se croyait fou, serait-il plus rassuré en se sachant “hanté” ? Entre la peste et le choléra... La vérité était encore le meilleur choix. - Elen... Il y a bien quelque chose. Mais je ne peux pas l’entendre comme toi. La vision s’évanouit, et l’énergie du Chaman tressauta une dernière fois, avant de reprendre son long cours tranquille. Elle connaissait suffisamment l’énergie du Chaman pour y déceler un infime changement. Un peu comme le changement progressif de la durée des jours qui constituait les saisons, imperceptible et pourtant inexorable. - Il est parti. Annonça-t-il dans un murmure soulagé. Il ne voulait pas la perdre. Elle lui avait révélé sa vraie nature, mais cela ne l’empêchait pas de la savoir essentielle à son existence. Sans elle, plus rien n’aurait de sens. Tout s’écroulerait. Il avait le sentiment qu’elle constituait un îlot de stabilité dans ce monde corrupteur. - Comment te sens-tu ? Lui demanda-t-elle avec douceur. Est-ce que ça ne serait pas une sorte de transe ? Imagine que ce ne soit pas lui qui vienne mais une partie de ton esprit qui aille dans l’autre monde... Ce n’était qu’une hypothèse, elle n’était pas assez instruite sur les transes pour en connaître toutes les subtilités. - C’est... Possible. Mon esprit a conservé de grandes affinités avec l’autre monde... Mais je le sentirais. Je crois. - Et maintenant ? Tu ne te sens pas confus ou... hésitant ? - Bien sûr que je suis confus... Je suis dans tes bras ! - Ah oui ? On ne dirait pas ! Dit-elle avec un rire, voyant qu’il ne perdait pas le Nord. Elle ne voulut pas l’inquiéter davantage. Elle chercherait dans les ouvrages de la bibliothèque. Il devait y avoir des monceaux de livres qui traitaient des esprits, des transes, des modifications du Finyë et tout ce à quoi elle n’avait pas encore songé... - On rentre ? Je crois que je vais faire comme toi, pour une fois. Un bon bain dans vos grands bassins me remettra un peu en forme. - Je t’escorte jusqu’à la Tanière. Les forces lui étaient revenues. Et, attentif, il se préparait à porter la jeune femme au cas où elle serait prise d’un vertige... [...] Elen, EdL
Chaman du clan du Loup au conseil des Lunes Responsable de l'Éclat des Lunes ♥ |
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Ils arrivèrent à la Tanière, se soutenant l’un l’autre, comme un couple de combattants sonnés. La Clairière des Ombres Cendrées, méconnaissable au travers de la brume, semblait étrangement désolée. Comme un lieu fantôme. Il conduisit sa belle à l’intérieur, poussant les portes d’un coup d’épaule. Les gardes voulurent les aider, mais le Chaman les congédia et les envoya mander le reste des Loups pour que la Tanière soit placée en état d’alerte maximum. Il conduisit ensuite Isa au premier sous-sol, aux bains, qui dégageaient leur habituelle vapeur.
- Va te délasser... Je surveille la porte... Isa ne se le fit pas dire deux fois. Elle ôta ses bottines tandis qu’Elen s’éloignait puis se débarrassa de ses vêtements. Elle s’assit au bord du bassin puis y glissa doucement. - Grands Dieux que c’est bon ! Lâcha-t-elle avec un soupir de contentement. Elle put entendre des petits bruits métalliques, en provenance du couloir. Elen ôtait un à un les éclats de métal adamant encore enfoncés dans ses chairs, utilisant une dague... - Elen ? Dit-elle un peu plus fort, interloquée par les cliquetis étranges. - Oui ? Fit-il, les dents serrées, la lame s’enfonçant dans ses chairs à la recherche de sa cible métallique. Il la vit émerger de la salle des bains, sa robe repassée à la va-vite. Elle s’arrêta net en le voyant. - Mais... N’y a-t-il donc pas de soigneurs dignes de ce nom ici ? Fit-elle, légèrement plus pâle qu’à l’accoutumée. - Retourne dans ton bain... Je suis un soigneur digne de ce nom. Lui souffla-t-il, extrayant la dernière pièce métallique, avant de soupirer de soulagement, plaquant sa tête contre le mur. - Oui je vois ça, à peu près aussi doué que le boucher de la Place des Trois Marchés à Lardanium... Tu ne pouvais pas me le dire ? La jeune femme épuisée ne put contrôler sa voix qui monta sensiblement dans les aigüs. - Admire... Il farfouilla dans la sacoche qui pendait habituellement à son flanc et en tira deux fioles contenant un liquide rougeâtre. Il fit couler une goutte sur chaque plaie, et l’hémorragie cessa. Puis il but cul sec la seconde, et les plaies se refermèrent lentement, laissant derrière elles des marques roses de chaire tendre qui viendraient compléter sa “collection” de cicatrices. Il soupira, se détendant finalement... Isa parut soulagée mais ses yeux se bordèrent de larmes. Elle ne sut pas trop pourquoi d’ailleurs, sans doute ses nerfs qui lâchaient maintenant qu’ils étaient définitivement en sécurité. A moins que ce ne fut de considérer les anciennes blessures d’Elen dont Isandre était en partie responsable... Elle fit demi-tour aussi vite qu’elle était apparue dans le couloir pour disparaître de nouveau dans les volutes de la salle des bains. Le Loup entendit presque aussitôt le clapotis de l’eau. - Isa ? S’étonna-t-il, se relevant instantanément ou presque. Il hésita, un instant, lorgna sur sa droite et et gauche, puis il s’élança à sa poursuite, chancelant les premiers pas. Il plissa les yeux, ralentissant le pas, cherchant à apercevoir la silhouette de la magicienne dans l’un des bassins. Maudit soit la vapeur. Encore que... Cela avait le mérite de pouvoir éventuellement leur éviter une situation gênante... - Isa ? Je peux ? Hasarda-t-il. - Je suis là. Répondit-elle d’une voix éteinte. Elle s’était adossée à la paroi du bassin et seule sa tête dépassait de l’eau. Enveloppée de brume, elle ne voyait même pas le mur du fond de la salle face à elle, pourtant proche. Ses affaires chiffonnées sur le dallage faisaient un petit monticule incertain. L’eau était tiède et ne compensait pas le maléfice qui perdurait. Avant de s’immerger elle avait vu sur sa peau, en plus de nombreuses estafilades, les mêmes ecchymoses que celles qui avaient orné le corps d’Elen. Cela passerait... Il fallait juste attendre. Et l’eau où elle se cachait, bien à l’abri, l’aidait à trouver cet état presque méditatif dans lequel elle reprenait des forces en oubliant son inconfort physique. Elle sentit une série de vaguelettes qui vinrent s’écraser contre la tendre peau de sa gorge. Elle aperçut une ombre qui se dessinait dans la vapeur à quelques pas d’elle. Celle familière du Chaman qui se rapprochait, inéluctablement quoi qu’avec une certaine hésitation. Isa ne savait pas quoi lui dire. Peut-être valait-il mieux se taire plutôt que de s’étaler en lieux communs, après ce qu’ils avaient enduré. Elle était simplement heureuse de le savoir tout près et lui tendit une main. S’en saisissant, il s’en servit pour se rapprocher un peu plus d’elle. Sa cape flottait à derrière lui et ses vêtements collaient à sa peau. - Tout va... Tu as besoin de quelque chose ? Demanda-t-il, vraisemblablement inquiet. Elle rit doucement en le découvrant à moitié immergé, tout habillé. - Non ça va. Merci Elen. Tu... Tu comptais faire ta lessive ? Fit-elle un brin moqueuse en lui tendit un gros morceau de savon qu’elle piocha dans l’un des petits paniers qui faisaient office de nécessaires à toilette et dont tous les bassins disposaient. - Oh... Euh... Il devint aussi rouge qu’il fut possible de l’être, réalisant à la fois la tenue de l’Olympienne et le ridicule de sa situation. Il recula d’un pas. Constatant que cela ne pouvait que lui offrir une “meilleure vue” sur la jeune femme, il bredouilla des excuses et recula encore. Mal assuré, il se prit les pieds dans sa cape pour basculer dans l’eau du bain. Cette fois Isa éclata de rire. - Tu cherches encore à te fendre le crâne ? Elle reposa le savon dans l’osier, quitta son assise et s’étendit vers Elen, juste le nez hors de l’eau. Arrivée tout près, surnageant un peu au-dessus du Loup écroulé dans le bassin, elle défit les attaches de la cape et la laissa flotter. - Ce serait dommage de finir noyé, maintenant que nous sommes en sécurité. Il se redressa, son visage émergeant de l’eau. Il croisa un instant l’ambre des yeux de la douce jeune femme. Il tenta en vain de se détourner de l’Olympienne, plus écarlate que jamais. Prisonnier de son regard, il se contraignit à placer ses bras le long de son corps, pour s’éviter un trop plein d’audace. Finalement, malgré tout, peut-être aurait-il mieux fait de s’abstenir de la rejoindre. Pour qui allait-il passer aux yeux de l’Olympienne, s’il se permettait de telle familiarités aussi tôt ? Pourtant, il aspirait à se noyer dans son regard et à se couler dans ses bras... - Euh... Oui... C’est... Subrepticement il s’en rapprocha pourtant, captif de l’étrange pouvoir qu’avait Isa sur lui. Ce serait... Vraiment... Elen, EdL
Chaman du clan du Loup au conseil des Lunes Responsable de l'Éclat des Lunes ♥ |
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Elle resta un long moment silencieuse et immobile, flottant doucement au-dessus de lui, ses mains posées sur les épaules du Loup. Tant de questions se bousculaient dans son esprit qui redoutait d’obtenir une réponse...
- Elen... Sa voix devint un souffle aussi léger que la brume qui les environnait. Pourras-tu faire avec ce que tu as vu aujourd’hui ? Il l’avait vue dans son plus simple appareil : une douce et frêle jeune femme capable de devenir une tueuse glacée et implacable lorsque ceux qu’elle aimait se trouvaient en danger. Elle l’avait épouvanté, tandis qu’elle dévorait la vie de Xeis. Pourtant, cela lui donnait une raison supplémentaire de la protéger : jamais elle ne devrait se sentir forcée d’user un tel pouvoir. Il caressa tendrement son visage, ses rougeurs en partie disparues parce qu’elle lui avait momentanément fait oublier la situation. Il entoura sa taille gracile de ses bras. - Pour moi, tu seras toujours cette merveilleuse perle d’innocence que j’admire. Lui murmura-t-il. Pour être honnête... Tu m’as terrifié, un instant. Mais... Ce n’était pas... Ce n’est pas... Le regard de l’Olympienne et la proximité de ce corps dénudé brûlant, enfiévré par la magie, lui coupait le souffle. Il ne parvenait pas à structurer ses pensées. Et sentir sa délicate peau au contact de ses mains... Cela avait quelque chose de bouleversant qu’il ressentait jusqu’au tréfonds de son âme. Il ne pouvait plus se détacher d’elle. - Moi ? Fit-elle, consciente que le Loup pouvait être trop tendre avec elle pour réaliser sa nature véritable. - Non... Ce n’était pas toi... Exprima-t-il, captivé. - Tu sais bien que si. Il baissa les yeux, l’air coupable, puis les leva vivement au plafond, s’empourprant de plus belle. Comment lui exprimer que la vision, quoi que horrifique, ne changeait rien des sentiments qu’il éprouvait pour elle. Pourquoi était-ce si difficile de se concentrer ? Il prit une grande inspiration, et son courage à deux mains et il lui assura : - Je t’aime, terrible ensorceleuse... Tu m’as envoûté... Essayait-il de s’illusionner encore ? Elle ne sut qu’en penser; son aversion pour les magies perverses pourrait un jour dépasser son amour pour elle. Ou plus simplement lui faisait-il confiance pour ne pas devenir ce monstre qui l’avait torturé au fond d’une cache lugubre des Chevaliers Noirs. Et là, la responsabilité n’incombait qu’à elle d’exaucer le voeu du Loup. - Je ne te décevrai pas, Elen. Lui promit-elle. Ses joues le brûlèrent. Il ne savait pas comment interpréter de tels propos. Surtout dans un tel contexte. Il avait beau chercher, ses pensées s’égaraient inlassablement. Il se faisait sans doute des idées. Il chercha le regard de la belle : les yeux ne mentaient jamais. Isa trouva un écho de l'éclat du regard d'Elen dans la chaleur que ses bras répandaient autour de sa taille. La brûlure du maléfice s'estompait mais une autre flamme naissait en elle, diffuse mais bien réelle. Elle prenait naissance au contact du Loup et gagnait peu à peu du terrain. Et s'il venait à Elen l'envie de faire courir ses mains sur ses courbes... L'incendie bouterait-il à chaque parcelle de son corps ? La main d'Isa vint sur le torse d'Elen, contre son coeur. Malgré sa propre introspection, elle voyait les hésitations du Loup, l'inconfort relatif dans lequel il se trouvait. C'était elle qui provoquait cet état et elle en sourit intérieurement. La volupté de l'instant s'imposa à elle. Elle l'avait conquis, lui-même l'avait avoué : Tu m’as envoûté, avait-il dit. Sa main se crispa sur l'habit détrempé du Chaman, elle tenait son coeur, elle tenait sa vie... Et elle le vit pâlir, se recroqueviller, se racornir. Bientôt ses yeux hagards ne furent plus que des pupilles aussi vides que des puits insondables... Son propre regard, un moment brillant d'un millier d'étoiles dorées, assuré, impatient, fut l'instant suivant figé par un voile d'effroi. Elle lâcha Elen et se dégagea brutalement de son étreinte pour regagner le bord du bassin en quelques mouvements de bras et de jambes chaotiques. Ce n'est qu'avant de sortir de l'eau, tremblante, qu'elle osa regarder en arrière. Elle ne devina qu’une silhouette fantomatique à travers l’épaisseur de brume. Le spectre de Xeis continuait-il à la hanter ? Etait-ce un avertissement sur ses faiblesses vis-à-vis de la magie olympienne ? Etait-elle finalement plus choquée par ce qu'elle avait fait qu'elle n'avait bien voulu l'admettre ? Toujours est-il qu’elle ne pensa qu’à fuir. Il observa son mouvement de recul. Il aurait pu s’empourprer une fois encore avec l’admirable spectacle qu’elle lui offrit, mais de la voir si troublée, ce fut le souci qui marqua son visage. Il tendit la main pour récupérer sa cape qui flottait et la rejoignit avec célérité. Elle bataillait pour s’extirper de l’eau et avait du mal à trouver son équilibre sur la petite marche qui lui permettrait de quitter le bassin. Se glissant dans le dos de la jeune femme, Elen couvrit pudiquement ce corps dénudé qui en toute autre circonstance aurait enflammé son imagination. La cape épousa avec perfection les formes et les rondeurs de sa belle. Le Chaman l’entoura tendrement de ses bras, déposant un baiser au creux de son cou. - Hey ! Tu ne vas pas t’éclipser maintenant ! Je ne te laisserai pas m’échapper après que tu m’as sauvé la vie ! ”Maintenant, elle t’appartient...” Qu’est-ce qui ne va pas, envoûtante demoiselle ? La cape fit à Isa l’effet d’une chape de plomb qui tombait sur ses épaules. L’étoffe épaisse, dégoulinante d’eau très vite refroidie fut un poids immense qui l’emprisonna. Elle mesura combien ses forces avaient été amoindries durant le combat avec Xeis. Mais c’était tant mieux, elle ne pourrait pas blesser Elen comme ça... - Arrête ! Ne dis pas ça ! Ne me touche pas ! Je ne veux pas te... Elle se mit à sangloter, ne sachant comment se défaire des bras du Loup sans se débattre, sans risquer qu’au moindre contact son instinct en profite pour se servir dans l’essence même du Chaman. - Te faire de mal... |
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Il se coula devant elle, ses yeux se liant à ceux de l’Olympienne. Elle put lire dans ses prunelles à la fois toute la confiance et tout l’amour qu’il éprouvait pour elle. Lui put lire toute la détresse de sa compagne : il ne devait pas la brusquer. Ce combat avait dû être plus difficile pour elle qu’elle ne le lui avait laissé entendre. Elle avait joué contre des forces anciennes et corruptrices avec une magie tout aussi pernicieuse, ainsi qu’elle le lui avait dit une fois.
- Tu ne me feras jamais de mal, Isa. Tenta-t-il de la rassurer. Je vais te chercher une serviette. Ajouta-t-il, conscient que cela lui laisserait un sursis pour qu’elle puisse retrouver ses esprits. Il se dirigea vers une étagère sur laquelle reposaient plusieurs grandes serviettes blanches, en saisit une puis s’en retourna auprès de l’Olympienne. Il la lui présenta ouverte devant elle pour qu’elle puisse s’envelopper dedans. Elle avait resserré la cape glacée autour d’elle. Le froid l’aidait à se calmer et dissipait la vision d’horreur qui l’avait faite paniquer dans le bassin. Ses sanglots cessèrent pour faire place à une intense fatigue. A l’invitation d’Elen, elle hésita mais le regard tendre de l’Elfe lui redonna confiance. Lentement, elle laissa tomber la lourde cape derrière elle pour venir se blottir dans la serviette sèche, tout contre Elen. - Grands Dieux... Je ne sais pas ce qui m’a pris. Elle souffrait, il le savait, il l’avait vu, il le sentait. Il fallait qu’il l’aide. Il connaissait quelques recettes d’onguent qui soulageaient les brûlures normales, et il devait bien exister une parade à l’Opalescencia. Au moins pour en réduire les effets. - Isa, viens avec moi à l’infirmerie... Nous allons essayer de trouver quelque chose pour toi. D’habitude, la jeune femme aurait argué que quelques heures de repos ou un petit tour sous les Titans pourraient tout arranger. Mais cette fois elle était vraiment à bout. L’Olympienne hocha la tête sans chercher à passer outre les conseils d’Elen. Ses affaires l’attendaient, en boule près du bassin et elle s’écarta du Chaman pour les ramasser. Sa tunique était en lambeaux, entaillée et perforée en tellement d’endroits que la jeune femme se demanda de façon incongrue comment elle allait pouvoir repriser tout cela. Le pire était qu’elle ne souvenait pas clairement du combat : tout se mélangeait en une multitude de battements d’ailes sur fond d’explosions assourdissantes. Si mordantes... Et ce terrible poison... Mais les déchirures dans le tissu et les multiples taches pourpres qui le maculaient étaient des preuves irréfutables. Elle comprenait maintenant à quel point voler la vie de Xeis avait été indispensable. - Je n’avais pas le choix, n’est-ce pas ? Fit-elle, les yeux toujours posés sur son baluchon. - Tu as fait ce qu’il fallait pour survivre, c’est tout Isa. Et c’est pour ça que tu ne me feras jamais le moindre mal : jamais je ne chercherai à te nuire. Elle leva les yeux vers le Loup. Il faisait ce qu’il pouvait pour la dédouaner de sa culpabilité. La jeune femme savait bien qu’il avait en partie raison. Est-ce que cette fraction était suffisante ? Elle esquissa un sourire, acceptant son jugement. Il passa un bras par dessus son épaule et récupéra la cape ainsi que les vêtements de la jeune femme pour qu’elle n’ait plus qu’à s’occuper de la serviette. Il la conduisit directement à l’infirmerie toute proche. La pièce possédait de nombreux lits, des étagères remplies de potions et de boites contenant divers onguents, des couteaux aux lames étincelantes parfois utiles aux médecins et divers grimoires pour aider à trouver un diagnostic. En somme, un arsenal de médecine conséquent pour des Elfes des Lunes vus comme des sauvages. Isa s’arrêta au seuil de la pièce. Elle embaumait les herbes médicinales et les différentes mixtures dont certaines lui étaient familières. Elen avisa une banquette et invita Isa à s’y installer. L’Olympienne s’y assit, la serviette toujours serrée autour d’elle. Pendant ce temps, il farfouilla dans les étagères et récupéra plusieurs articles. Il donna à la jeune femme trois fioles au contenu rosâtre : - Bois-les toutes les trois. Dans ton état, cela ne peut que te faire du bien. - Merci Elen. On en trouvait de semblables dans les herboristeries de Lardanium. D’ailleurs sa grand-mère en avait toujours dans sa besace. A quelque chose près, les Loups devaient connaître les mêmes recettes. Elle en déboucha une et en sentit l’arôme. Les composants principaux étaient facilement reconnaissables et cela correspondait à ce qu’elle attendait. Elle en vida deux et réserva la troisième pour la boire avant de se coucher. Pendant ce temps, Elen relut, pensif, les étiquettes des trois boites cylindriques qu’il avait prises, semblant réfléchir. Il jeta son dévolu sur un baume rarement utilisé : il s’agissait d’un onguent puissant utilisé fréquemment en cas de brûlures sévères couplé à une substance sédative. Si cela ne guérissait pas les brûlures causées par la magie, cela diminuerait au moins la douleur, le temps que l’esprit d’Isa récupère des forces et puisse contrecarrer la malédiction de lui-même. Après tout, comme il le lui avait dit une fois, à tout sortilège le corps opposait un phénomène de rejet. Il suffirait juste qu’elle soit plus forte que le mal... - Il faut qu’on passe cet onguent sur ta peau. Tu préfères le faire toi-même ? Elle fronça les sourcils et une peur sourde revint peser sur son estomac. - Oui... Elle prit la boîte que lui tendait Elen et l’ouvrit. Une odeur forte, mentholée, agressa ses narines. Elle discerna aussi le lourd parfum du camphre. - Les moustiques ne seront pas à la fête, cette nuit. Fit-elle en commençant à se badigeonner les bras et les jambes. Tu devrais te changer Elen, tu vas attraper mal à rester trempé comme une soupe. Elle fit de même sur son torse et son bassin, la serviette lui offrant un abri adaptable. Cela se compliquait néanmoins pour le dos et elle s’apprêta à faire l’impasse. Il s’était éclipsé, hochant la tête, pour se changer. Ses vêtements à lui aussi étaient en piteux état. Il passa une simple chemisette blanche et se glissa dans un pantalon noir en toile. Il dégota rapidement une tenue en vogue parmi les Louves pour Isa dans l’une des penderies de l’infirmerie, puis revint vers sa patiente, la voyant hésiter. - Je peux t’aider ? - C’est... Non j’ai fini... Mentit-elle en refermant la boite. Puis elle la rendit à Elen. Pourquoi ne l’as-tu pas utilisé l’autre fois ? - Je n’y ai pas pensé, je dois l’avouer... Savoir que c’est toi qui souffres a été le déclic pour me rappeler que nous avions une infirmerie ici... Ça te fait du bien ? - Halala... La prochaine fois, quand je dirai qu’il faut qu’on aille voir Evonis, tu m’écouteras ! Lui doit s’en souvenir que vous avez un véritable hôpital dans votre forteresse ! L’onguent lui apportait une douce fraîcheur et les multiples coupures, quasiment refermées grâce aux potions, cessèrent de la démanger, comme endormies. - Ça va mieux, oui. Merci pour les vêtements. Elle prit le haut de toile fine et passa ses bras dans les manches. Il n’y aurait plus qu’à glisser sa tête par l’encolure. - Je peux t’en passer dans le dos, si tu veux... Proposa-t-il, ayant bien vu qu’elle n’avait pas pu le faire par elle-même. Elen, EdL
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Isa interrompit son habillage et rabattit ses bras contre sa poitrine. Son coeur y cognait un peu plus fort. Devait-elle se laisser dominer par la peur ? Alors que cette journée aurait pu être si parfaite... Comme pour s’assurer qu’’elle ne tenterait rien contre Elen, elle entrelaça ses doigts avec force.
- Et bien... Oui... Il se rapprocha d’elle, rouvrant la boîte. Il oignit le dos de l’Olympienne, aussi doucement que possible, étalant la crème salvatrice sur cette peau qui n’aspirait qu’à l’apaisement. A la faveur de ce contact, son esprit s’égara. Il repensa au corps dénudé de Isa, au fugitif aperçu qu’il en avait eu dans les bains. Il s’empourpra intensément. Mu par il ne savait quelle volonté, il balbutia : - Tu... Tu es... Magnifique, Isa. L’application de l’onguent créait une curieuse succession entre la chaleur douce de la main d’Elen et la fraîcheur que le baume procurait presque instantanément. Quelques frissons parcoururent son dos sous les doigts délicats du Loup. La brûlure ne fut plus qu’une douleur diffuse, lointaine, qu’elle pouvait facilement ignorer. Ainsi que ses peurs. Elle se détendit enfin et répondit avec un sourire timide : - C’est gentil... Elen devait la voir avec des yeux suffisamment amoureux pour que l’objectivité ne soit pas de mise. Il venait de quitter Nil’nelia qui était, elle, réellement très belle. Et les Soeurs d’Aphrodite lui avaient longtemps permis de se mesurer à de véritables beautés. Autant dire qu’elle n’avait été que le vilain petit canard de la mare... Repenser à Nil’nelia lui rappela leur rupture récente. Elle chercha ses mots avant de continuer : - Elen... Finalement on n’a pas eu trop le temps de discuter, avec tout ça. Si jamais tu veux parler de certaines choses, tu sais... On est toujours amis, n’est-ce pas ? - Amis ? C’est un doux euphémisme, jeune demoiselle ! Répondit-il sur un ton étonnamment enjoué. Elle se sentit sotte et rougit à son tour. - C’était juste pour dire qu’on peut encore parler de tout, comme avant. ”Enfin je crois...” Elle s’aperçut que ses connaissances en pratiques conjugales frisaient le néant. - Ne te fais pas de soucis pour moi, Isa. J’ai traversé des temps plus difficiles que ceux-ci, crois-moi. Et je t’ai, toi... Je gagne bien plus que je ne perds. Il venait d’achever sa tâche. Il referma avec soin la boite d’onguent et s’en alla la reposer sur une étagère toute proche. Nil lui semblait étrangement lointaine, comme s’il l’avait déjà oubliée. Pourtant, aux tréfonds de son être, un part de son coeur battait encore pour l’Elfe. Une parcelle modérée, celle qui espérait encore l’amitié de la jeune femme. Cette brutale rupture, ce manque de rancoeur et cette absence apparente de sentiments, tout cela aurait dû l’alerter. Mais quelque chose le poussait à refouler tout cela. Quelque chose de puissant. L’amour qu’il éprouvait pour Isa ? Non... Une force plus insidieuse, inéluctable qu’il sentait grandir en lui. Une soif qu’il ne se connaissait pas, jusque là. Un colère fille des actes fourbes d’un Corbeau. L’appel sourd d’un avenir sur lequel il aurait tout contrôle. La restauration de la discipline. Et de l’ordre. Son ordre. Tandis qu’il s’affairait, Isa le suivit des yeux. En un sens, qu’il prenne autant de distance aussi vite devait la rassurer. Mais pouvait-on vraiment tirer un trait sur tant d’années de mariage aussi facilement ? Cela la laissa perplexe. Elle vit les traits du Loup se durcir, alors qu’il semblait pris dans ses réflexions. Une détermination froide dans ses gestes, un regard métallique qu’elle ne lui connaissait guère... Elle l’avait vu combattre des adversaires redoutables qui parfois se tapissaient jusque dans son for intérieur, mais il l’avait fait avec une passion débordante, parfois brûlante et toujours authentique. Elle termina d’enfiler ses vêtements, le rejoignit et posa sa main à sa taille, comme elle aimait le faire, en un mélange d’intimité discrète et de complicité. - A quoi penses-tu ? Murmura-t-elle. - Ne te laisse pas bercer par l’entropie ! Résiste-lui, bon sang ! Entendit-il, juste après la voix de Isa. Cela cassa le flot de ses pensées, comme une vague vient se briser sur les rochers des falaises. Il ne demeura que quelques résidus amers dans son esprit, silencieux. Il posa à son tour ses mains sur la taille de la jeune femme, apaisé par sa présence. - Oh... Euh... Je pensais à Xeis... Et à la meilleure manière de règler ce... Problème. - Et si tu rencontrais un des émissaires des Corbeaux ? Ils ne sont pas forcément au courant de ce qu’a fait Xeis. - Pour qu’ils me maudissent et fassent de moi leur marionnette ? Sans façon. Fit-il, tandis que les pensées fauves tapies en lui l’assaillaient de nouveau, brièvement. - Mais reprends-toi ! Ne laisse pas le changement devenir ton destin. Et la douce magie de la présence de l’Olympienne l’apaisa immédiatement. - On peut se protéger de leur magie, s’ils n’ont pas l’avantage de la surprise. Si vous faisiez une réunion entre tous les clans, pour renouer le contact, vous pourriez vous surveiller les uns les autres. Et personne ne dit que les Corbeaux feraient quoi que ce soit, qui plus est. Nous n’avons que l’exemple de Xeis, il était peut-être tout seul à planifier je ne sais quelle fourberie, et on ne peut plus guère l’interroger... Cela faisait bien longtemps que les Corbeaux n’avaient plus donné signe de vie. Ils avaient laissé leurs jeunes à l’abandon, en témoignait l’infortuné Amhand. Et à présent, l’un de leur représentant s’en prenait au Chaman d’un autre clan et à ses invités ! Selon toute vraisemblance, cela ne pouvait être un acte isolé. Mais Isa lui conseillait la prudence... Et avec les barbares qui se dirigeaient vers Na’Helli, il avait autre chose à faire que de tenter de comprendre les tenants et les aboutissants d’une machination des Corbeaux. - Nous verrons ce qu’il en est en temps voulu... Mais tu as raison. Je ne vais pas précipiter les choses. Et il faut que je prenne soin de toi, après tout cela. - Tu le fais déjà à merveille, Elen. Fit-elle avec un regard plein de tendresse. Il était déjà tard lorsqu’ils sortirent de l’infirmerie et se rendirent à la salle commune pour dîner avec les Loups et leurs invités. Ensuite, après un copieux repas, vint le temps du repos, pour guérir les blessures de la journée. Elen raccompagna l’Olympienne jusqu’à sa chambre, commentant son exploit : battre un Corbeau Ashka n’était pas une mince affaire en temps normal. Et dans cette brume, cela avait dû être plus difficile encore. Il lui souhaita ensuite la bonne nuit, d’une tendre étreinte puis il se joignit une fois encore à l’immensité de la forêt. Sa blessure, à lui, ne pouvait guérir en l’absence d’hémorragie... |