De la passion naît la foi | |
Topic visité 521 fois Dernière réponse le 30/04/2013 à 18:45 |
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"Et c'est ainsi que le glorieux archer auquel j'avais attaché ma plume et ma prose défit à lui seul, en robe de bure et armé d'un couteau à dépecer en silex, tout le peloton d'exécution Impérial qui avait eu l'audace de le capturer et qui s'apprêtait céans à le percer de carreaux d'arbalète."
- Tu ne penses pas que tes lecteurs, si tant est qu'ils existent un jour, risquent de soupçonner une légère exagération ? Emosiwn se tenait penché derrière le tabouret surélevé du lutin et lisait, ou plutôt déchiffrait avec difficulté, la geste éclairée que traçait la plume d'oie au fil de son avancée sur le parchemin. - Je ne vois pas de quoi tu veux parler. Je trouve cette histoire tout à fait cohérente. - Nonobstant le fait que je ne possède pas de robe de bure, que je n'ai aucune idée de comment dépecer un Impérial, que je n'ai par ailleurs encore jamais rencontré de ma vie ? - Détail, tout ça. Il faut bien enjoliver un peu pour donner un peu de piquant à l'ensemble. Et si tu pouvais arrêter de regarder par-dessus mon épaule, ça m'arrangerait. Je déteste être un centre d'attention lorsque je crée. L'elfe soupira bruyamment, mais se détourna néanmoins. Si son chroniqueur attitré n'aimait pas être observé lors de ses séances d'écritures, Emosiwn, lui, refusait tout simplement de passer pour ce qu'il n'était pas, encore moins un héros sans peur et sans reproche. L'activité scribouillarde et un tantinet romanesque dans laquelle son compagnon semblait se complaire était donc pour lui plus un problème qu'une récompense. Une récompense pour rien du tout, d'ailleurs. Emosiwn ne l'avait pas sauvé lors d'une bagarre de taverne un peu trop arrosée, c'est-à-dire où les vins&spiritueux n'auraient pas humecté que l'intérieur des participants, il n'était pas assez riche ni valeureux pour s'être payé les services d'un barde attitré, et de toutes façons l'idée ne lui en serait jamais venue, et il n'avait pas non plus reçu de mission divine le poussant à affronter des hordes d'ennemis pour faire triompher le bon droit et la justice qui étaient, selon lui, des notions totalement subjectives en fonction des peuples, des courants d'idées ou de son humeur du moment. D'autant que le style grandiloquent, épique et gradatif (en plus) du gnome commençait à lui courir sérieusement sur le système. - Soit. Et pourquoi en élunien, au fait ? L'auteur un peu trop inspiré posa sa plume avec délicatesse dans l'encrier, dans le silence précédant l'explication patiente au Jean-Foutre inconscient des enjeux littéraires du monde. - Les Elfes des Lunes, de par leur mode de vie, devaient disposer d'un système d'écriture pratique et souple pour pouvoir écrire en toutes circonstances. L'alphabet élunien a été inventé dans ce but, ce qui en fait un atout lorsque l'on a à noter quoi que ce soit avec les matériaux qui nous tombent sous la main. C'est pour ses qualités de simplicité, de facilité de traçage sur n'importe quelle surface, qu'il a de tout temps été utilisé pour relater les grandes épopées, les tours de force et les destinées glorieuses. Ainsi, si je venais à perdre mon nécessaire à écrire lors d'un glorieux combat, d'une épique poursuite... - Ou d'une lamentable fuite. -... , je pourrai toujours utiliser un caillou pointu sur une écorce d'arbre pour conserver les éléments les plus cruciaux de l'histoire. Cela s'est avéré très utile lorsque le Maître Djonronal, le plus grand barde elfe de notre histoire, se vit privé de... - Reuel. - ? - Son nom, c'est Djonronalreuel. Et il était Olympien. Par conséquent, il n'a jamais parlé élunien, puisque cette langue ne s'apprend pas dans leurs écoles. Il écrivait en alphabet lardanien, comme de juste, dans les désinences récursives du second et troisième degré qui caractérisent le dialecte des landes situées entre les ruines d'Ordenum et le Cratère, où se trouvait son village natal. - Bah, qu'est-ce que t'en sais, toi ? - C'est mon sujet de thèse. J'ai fait Lettres et Linguistique des Terres Connues, à l'université de Na'helli. Et puisque ça, c'est véridique, tu pourrais peut-être penser à le rajouter à ton parcho. En élunien, étant donné que tu ne sembles connaître que cet alphabet. Le lutin sauta à bas de son tabouret et louvoya entre les meubles de la pièce, encombrée d'un bric-à-brac inutile de coffres remplis de souvenirs de voyages, de piles de livres poussiéreux et d'ustensiles ménagers en bois ou en fer blanc, pour aller se saisir d'un briquet d'amadou afin de rallumer la lampe dont la mèche s'était éteinte. - T'es dur là, tu sais ? Reprit-il après un temps. - Jamais demandé à ce que tu t'accroches à ma vie, mon oeuvre. Ah tiens, à propos, qu'est-ce qui t'a pris ? Tu sais que tu risques plus de t'ennuyer qu'autre chose avec moi, non ? - Certainement pas ! J'ai un don pour repérer les destins hors du commun, et tu en as un en or ! Je compte bien me faire plein d'argent avec le récit de tes exploits, alors ne me déçois pas, veux-tu ? - Tu risques d'attendre longtemps. J'ai à peine pris la décision de me lancer dans la marche du monde... - Et crac ! Cria-t-il en se jetant derechef du haut de son tabouret qu'en d'autres temps et d'autres lieux on appellerait "de comptoir", ce qui fit qu'il se foula presque la cheville à l'atterrissage. Tu me sauves lors de cette bagarre de taverne trop arrosée ! C'est pas un signe, ça ? Re-soupir. - Ils étaient deux, et tellement imbibés qu'ils se sont endormis à mes pieds alors que je sortais, justement pour éviter qu'ils ne s'en prennent à moi après t'avoir mis quelques coups pour le plaisir. Tu n'exagères pas un peu ? - L'humilité est la marque des plus grands héros ! Tu verras que j'ai vu juste. Ensemble, nous accomplirons de grandes choses. Si Emosiwn avait su comment faire, il aurait affiché un sourire moqueur. Mais du coup, il se contenta d'une réponse laconique. - Nous verrons bien, La'ereh... |
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HRP: bienvenu à toi chez les Elfes, merci pour ce rp |
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"Un banquier, c'est un homme chargé de t'annoncer que tout ton compte a été saisi pour fraude fiscale - ou que tu viens d'hériter de deux mille cinq cents pièces d'or, avec le même masque de neutralité que si vous jouiez au poker sans bluff (ce qui, convenons-en, ne présente que peu d'intérêt)."
- Mais admets que c'est plutôt cool, quand-même ! La seule évocation de ce montant sur mon compte, moi, ça me ferait pousser des ailes et des cris de joie, sans compter le sens du zeugma. J't'envie, tu sais. Emosiwn, qui aurait pu être banquier grâce à sa manie d'arborer un visage fermé en toutes circonstances, n'était pas réellement né avec une cuiller en argent dans la bouche. Ce qui fait que son estomac n'était pas vraiment adapté à l'assimilation des nutriments et des sels minéraux contenus dans les métaux précieux. Et donc qu'il avait du mal à digérer l'or dont il pouvait maintenant se gaver comme un Rebelle. - Tu sais, répondit-il à son compaing lutin, j'ai du mal à penser, là, tout de suite. Je viens de gagner de quoi vivre toute ma vie durant sans travailler, en une seule journée, et sans avoir rien fait encore. Je t'assure que je n'ai pas empoisonné ma grand-tante, en tous cas. D'ailleurs, j'ignorais qu'elle me réservait autant d'argent. - Oh. C'est vrai que c'est un membre de ta famille qui est mort. J'espère que tu pourras surmonter cette épreuve. Tu sais, la vie continue, et... - Je la connaissais à peine, pour tout te dire. On ne se voyait pas souvent et elle-même ne devait pas être très intéressée par mon sort. - Mais alors, tout cet argent, pour quelle raison ? Tu es un Elu de la Prophétie Eternelle du Vieux Sage sur la Montagne, c'est ça ? Tu vas sauver Olympia tout entier ? Avoue que j'ai vu juste et que tu ne voulais pas m'en parler ! - Ce que je voulais te dire par là, c'est qu'elle était riche. Très riche. Ce qu'elle m'a versé doit être en parfait accord avec le peu d'affection qu'elle avait pour moi. Imagine ce qu'elle a du léguer aux gens à qui elle tenait. - ... Il habite où, son mari ? - Dans mes souvenirs, elle n'en avait pas, pas plus que des enfants. Mais je peux me tromper, je n'ai jamais vraiment connu cette branche de la famille. - Bon, en tous cas c'est parfait ! Allons à la forge, tu vas pouvoir t'équiper du matériel de la plus haute qualité pour commencer ta carrière ! La'ereh commençait déjà à se presser vers le quartier des armureries, fabricants d'armes, de munitions et de jouets pour enfants, qui était à deux pas de la banque où Emosiwn avait été convoqué pour signer quelques paperasses concernant l'héritage. - Est-il est vraiment nécessaire pour moi de partir à l'aventure ? Le conteur marqua un temps d'arrêt. Puis se retourna, affichant un sourire qui dissimulait mal son inquiétude et son déplaisir. - Mais... Mais bien sûr ! Que pourrais-tu faire d'autre avec cette montagne d'or ? C'est un début idéal pour toi ! - Rappelle-toi ce que je t'ai dit, lorsque nous nous sommes rencontrés. D'ailleurs, c'est l'une des rares choses que tu as consigné telles quelles dans ton récit. - ... Que tu partais en quête de gloire et d'or, mais surtout d'or ? - Et encore une fois, tu l'as même un peu exagéré. Je n'ai pas choisi de suivre, pendant plusieurs longues années, un entraînement militaire et un cursus universitaire qui me permettait de mieux connaître le monde, pour rien. J'ai agi de la sorte parce que je voulais devenir aventurier, ou quelque soit le nom que tu donnes à ce métier, de "héros national" à "pilleur de tombes". Mais c'était pour gagner ma vie, me faire une petite somme confortable, et me retirer quelque part en ville ou ailleurs, trouver une femme, avoir des enfants, un chien, une calèche, peut-être. Et avec cet or, je pourrais déjà avoir tout ça. Notant qu'il se passait quelque chose entre un elfe et un lutin qui discutaient de sujets graves en plein milieu d'une rue passante, quelques badauds s'étaient arrêtés et s'efforçaient de capter un tant soit peu la conversation. Et comme toujours dans ces cas-là, plus il y avait de spectateurs, plus les piétons s'arrêtaient pour savoir quel sujet méritait autant d'attention. Ridicule, puisque le sujet en question n'avait aucune espèce d'intérêt pour ces messieurs-dames. Ah, tiens si, on y parlait d'un homme qui disposait de... - Deux mille cinq cents pièces d'or. Tu te rends compte ? Je peux vivre heureux jusqu'à la fin de mes jours, quand bien même je durerais aussi longtemps que Kaeniel. Enfin, pas loin. Mais bon, avec l'épargne et compagnie... - Et qu'est-ce que tu fais du rêve ? Cette envie qui te prenait aux tripes de connaître le monde, de le parcourir, d'apprendre tout un tas de choses utiles qui te serviraient par la suite ? - Qui m'auraient servi. Aujourd'hui, si je veux assurer ma sécurité, je paye un garde du corps. Si je veux me faire à manger, j'achète un cuisinier. J'ai de l'argent, maintenant. Pas besoin de courir derrière les trésors et devant le danger, finalement. Pour tout te dire, ce choix de devenir aventurier, ce n'était pas la meilleure option, pour moi. C'était la moins mauvaise, et ça a changé. - Tu n'as pas le droit ! Eclata le lutin. Beaucoup d'auditeurs sursautèrent, n'ayant jamais envisagé qu'un si petit être puisse avoir une si grande puissance vocale. C'est qu'il avait du coffre, le scribe. Tu t'es engagé dans ce projet durant tant d'années que tu ne peux pas abandonner maintenant ! Tout ce qu'Olympia compte de problèmes, de dangers, de choses qui ne tournent pas rond, et les Totems savent qu'il y en a, tu avais décidé de t'en occuper. Le brouhaha ambiant de l'avenue, parée d'arbres centenaires et des luminaires magiques et bleutés qui commençaient à s'allumer doucement (la soirée commençant à tomber), s'était entièrement dissipé. Tous écoutaient à présent La'ereh, qui pour une demi-portion sur laquelle on pouvait marcher sans s'en rendre compte, avait acquis une certaine présence sur ce qui était maintenant la scène d'un spectacle de rue gratuit et divertissant pour messieurs Tout-le-monde-de-quoi-j'me-mêle. - Tu ne peux pas abandonner ceux qui souffrent, continuait-il, ce serait cruel et inhumain. Ce serait penser qu'Olympia n'est qu'un vaste terrain de jeu dont les gens comme toi se désintéressent lorsqu'ils n'y voient plus de récompense ou de plaisir. Tu ne peux pas voir les choses de cette manière. Si tout le monde pensait comme toi, les Terres Connues seraient... - Exactement ce qu'elles sont. Un ramassis de bandits de grand chemin, d'Impériaux cruels qui nous traquent jusqu'au cœur de la Forêt des Cendres, et de Forestiers incapables de défendre autre chose que leur ville, le tout au milieu d'un désert spirituel, culturel et technologique englobant la totalité des civilisations en présence. Oublie les rêves de gloire et d'aventure, La'ereh. Il n'y en a pas pour ce monde, et je ne suis pas celui qui, seul, parviendra à rétablir l'équilibre et à faire naître des vocations humanitaires. Je n'ai pas envie de me casser le crâne pour ça. Je vais plutôt rentrer chez moi, et écrire une pièce de théâtre. J'en ai toujours rêvé. Ou, plus précisément, reprendre une oeuvre inachevée d'un auteur inconnu que j'apprécie beaucoup et qui mérite d'être continuée. La Trahison de Tyrhéléos, tu connais ? Il était étonnant de capter le contraste entre La'ereh et le soldat, un contraste qui menait exactement au même résultat. Là où l'un criait sa passion, faisant taire les autres pour imposer sa voix, l'autre continuait avec un calme impressionnant de répondre et d'avancer ses propres arguments en faisant parler la raison comme par la bouche d'un sage. À propos de bouche, le lutin ouvrait la sienne pour lancer une réplique décisive à Emosiwn au moment même où il remarquait que rien ne lui venait à l'esprit. Dans le silence le plus total, il la referma, puis se retourna et marcha. Tout droit. Et puis toujours tout droit. Jusqu'à ce que les passants, les clients assis sous les tonnelles des tavernes ou des auberges, et le jeune archer, comprennent que c'était terminé. Les regards se détournèrent alors de l'orateur, les conversations reprirent chacune de leur côté. Il avait beau être encore en vue de tous, La'ereh et ses idéaux n'existaient déjà plus. Emosiwn, par contre, était un homme riche. Il pourrait être profitable de s'en faire un ami. - Hé, salut, l'ami. Je te paye un verre ? Je connais une taverne où on sert un vin délicieux. |
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HRP
Merci pour la bienvenue, au fait. J'espère que ces quelques lignes vous divertiront autant que je me suis diverti à les écrire. Ca faisait longtemps que j'avais pas chroniqué avec des contraintes aussi stimulantes, je crois. 'Fait plaisir ![]() |